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GALERIE ESPAGNOLE AU LOUVRE.

le sujet n’est, dans les mains de l’artiste, qu’une argile qui se modifie et se transforme selon sa volonté. Ribera aime surtout une nature âpre, escarpée et sévère ; il faut, avec lui, que le sang coule et que les chênes craquent. Murillo, au contraire, se complaît dans la lumière, l’harmonie et l’encens. Murillo est comme le soleil, qui réjouit toute chose. On peut citer encore de Jose Ribera deux toiles importantes, et qui figurent aussi dans le nouveau musée. Je veux parler de l’Hercule assommant le Centaure, et surtout de l’admirable Martyre de saint Barthelémy, où se révèle toute la sauvage énergie de l’élève de Caravage. Quant à Velasquez, il faut placer au premier rang des chefs-d’œuvre nouvellement conquis de ce maître l’Adoration des bergers, belle et naïve peinture, encore dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa couleur, ainsi que le portrait du comte-duc d’Olivarez, qui fonda la réputation de son auteur à la cour du roi Philippe IV. Enfin, pour clore cette rapide nomenclature, nous parlerons d’un sujet de sainteté, d’Andrea del Sarto, et du portrait de Philippe II, par Titien, deux merveilles enlevées à l’abîme des temps du même large coup de filet.

Oui, c’est là une solennelle conquête, et nous en avons la certitude, l’Espagne, tôt ou tard, s’en réjouira comme nous, car il y va de son intérêt et de sa gloire. Quant à l’ordonnance que le ministre de l’intérieur vient de publier à Madrid, et qui a pour but d’interdire toute exportation à l’étranger des tableaux de l’école espagnole, nous ne pouvons prendre au sérieux cette boutade, au moins intempestive. Pourquoi vouloir parquer le génie dans l’étroite mesure d’un royaume ? Pourquoi vouloir lui donner les Pyrénées et la mer pour limites, à lui qui est éternel et de tous les pays et n’a de bornes ni dans l’espace, ni dans le temps ? Certes, s’il doit exister entre les peuples des relations agréables et fécondes, ce sont celles qui reposent sur le commerce des œuvres de la pensée. Nous vous ravissons vos trésors, dites-vous ? Eh bien ! imitez notre exemple, venez en France, parcourez nos provinces, et si vous trouvez dans quelque château en ruines des toiles de Claude ou de Poussin, emportez-les, qui vous empêche ? Que le Musée soit le sanctuaire inviolable de l’art national, rien de plus juste ; mais aussi que les chefs-d’œuvre restés en dehors de l’arche sainte, que les chef d’œuvre errans passent de l’Italie en Allemagne, qu’ils circulent, qu’ils changent de maîtres et