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Cette puissance dans le mouvement a pu seule permettre à la France d’éprouver pendant le court espace de cinquante ans tant d’impressions et de fortunes diverses. Eût-elle été si riche et si grande en actions et en pensées, si elle se fût obstinée dans l’immobilité ? Elle sent avec un tact toujours juste le point précis où doit se terminer une série d’expériences ; et quand elle estime une veine épuisée, elle saisit avec prestesse une autre saillie des choses.

Aujourd’hui la France a l’intention manifeste de sortir irrévocablement des débats qui l’ont occupée depuis six ans. Assez d’irritations et de malentendus, de mécomptes et de colères. Nous sommes aussi loin aujourd’hui des luttes de 1832 et 1833 qu’en 1799 on était loin de 93. Quelques années suffisent toujours, en France, pour changer les esprits et les situations. Cette mobilité est la condition du progrès.

L’amnistie qu’a prononcée le roi, et qu’a eu le singulier bonheur de contresigner le ministère du 15 avril, est non-seulement un acte généreux, mais un jugement porté avec intelligence et grandeur sur l’état du pays. Amnistier ainsi, c’est comprendre la nation mobile et passionnée aux destinées de laquelle on préside ; c’est se montrer, comme la France, noblement oublieux des malheurs et des fautes : un pareil oubli est la meilleure prévoyance de l’avenir.

Déjà l’an dernier la situation nouvelle des choses, qui aujourd’hui est officiellement reconnue, s’était manifestée par d’irrécusables symptômes : si la question espagnole n’eût pas amené la retraite si honorable et si politique du ministère du 22 février, l’administration de M. Thiers eût accompli à propos les belles mesures qui deviennent la date d’une époque nouvelle. Mais l’avènement du ministère du 6 septembre ajourna le bien en ramenant au pouvoir des irritations sans objet et sans à-propos. Toutefois ne nous plaignons pas : la courte apparition de M. Guizot et de ses amis aux affaires ne nous a pas été inutile, elle a complété, pour tous, des démonstrations nécessaires. Nous savions, mais d’autres ne connaissaient pas aussi bien, l’impuissance et l’entêtement de la politique réactionnaire ; comme elle était revenue sans cause, elle s’est montrée sans force ; et les hommes qui aiment vraiment l’ordre, l’ont reconnue pour inquiétante et désastreuse.

Il faut convenir que, depuis le 6 septembre jusqu’au 15 avril, M. Guizot et ses amis ont fait une étrange campagne. M. Guizot