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Enfin, il me fut démontré clairement que Jean Mauprat ne venait pas me demander des moyens d’existence, mais qu’il me fallait le supplier humblement d’accepter la moitié de mon bien pour l’empêcher de traîner mon nom et peut-être ma personne sur le banc des criminels.

J’essayai une dernière objection. — Si la résolution du frère Népomucène, comme vous l’appelez, monsieur le prieur, est aussi bien arrêtée que vous le dites ; si le soin de son salut est le seul qu’il ait en ce monde, expliquez-moi comment la séduction des biens temporels pourra l’en détourner ? Il y a là une inconséquence que je ne comprends guère.

Le prieur fut un peu embarrassé du regard perçant que j’attachais sur lui ; mais se jetant au même instant dans une de ces parades de naïveté qui sont la haute ressource des fourbes : — Mon Dieu ! mon cher fils, s’écria-t-il, vous ne savez donc pas quelles immenses consolations la possession des biens de ce monde peut répandre sur une ame pieuse ? Autant les richesses périssables sont dignes de mépris lorsqu’elles représentent de vains plaisirs, autant le juste doit les réclamer avec fermeté quand elles lui assurent les moyens de faire le bien. À la place du saint trappiste, je ne vous cache pas que je ne céderais mes droits à personne, que je voudrais fonder une communauté religieuse, pour la propagation de la foi et la distribution des aumônes, avec les fonds qui, entre les mains d’un jeune et brillant seigneur comme vous, ne servent qu’à entretenir à grands frais des chevaux et des chiens. L’église nous enseigne que, par de grands sacrifices et de riches offrandes, nous pouvons racheter nos ames des plus noirs péchés. Le frère Népomucène, assiégé d’une sainte terreur, croit qu’une expiation publique est nécessaire à son salut. Martyr dévoué, il veut offrir son sang à l’implacable justice des hommes. Combien ne sera-t-il pas plus doux pour vous (et plus sûr en même temps) de lui voir élever quelque saint autel à la gloire de Dieu, et cacher dans la paix bienheureuse du cloître l’éclat funeste d’un nom qu’il a déjà abjuré ! Il est tellement dominé par l’esprit de la Trappe ; il a pris un tel amour de l’abnégation, de l’humilité, de la pauvreté, qu’il me faudra bien des efforts et bien des secours d’en haut pour le déterminer à accepter cet échange de mérites.

— C’est donc vous, monsieur le prieur, qui vous chargez, par