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MAUPRAT.

près avoir manifesté un si vif désir de m’entretenir il se tienne à l’écart quand j’arrive. — Monsieur, reprit le prieur avec une ridicule majesté, mon devoir est de faire régner en ce lieu saint la paix du Seigneur. Je m’opposerai donc à toute entrevue qui pourrait amener des explications violentes… — Vous êtes beaucoup trop facile à effrayer, monsieur le prieur, répondis-je ; il n’y a lieu ici à aucun emportement. Mais comme ce n’est pas moi qui ai provoqué ces explications, et que je me suis rendu ici par pure complaisance, je renonce de grand cœur à les pousser plus loin, et vous remercie d’avoir bien voulu servir d’intermédiaire.

Je le saluai profondément et me retirai »

xx.

Je fis à l’abbé, qui m’attendait chez Patience, le récit de cette conférence, et il fut entièrement de mon avis ; il pensa comme moi que le prieur, loin de travailler à détourner le trappiste de ses prétendus desseins, l’engageait de tout son pouvoir à m’épouvanter pour m’amener à de grands sacrifices d’argent. Il était tout simple, à ses yeux, que ce vieillard, fidèle à l’esprit monacal, voulût mettre dans les mains d’un Mauprat moine, le fruit des labeurs et des économies d’un Mauprat séculier. C’est là le caractère indélébile du clergé catholique, me dit-il. Il ne saurait vivre sans faire la guerre aux familles et sans épier tous les moyens de les spolier. Il semble que ces biens soient sa propriété et que toutes les voies lui soient bonnes pour les recouvrer. Il n’est pas aussi facile que vous le pensez de se défendre contre ce doucereux brigandage. Les moines ont l’appétit persévérant et l’esprit ingénieux. Soyez prudent et attendez-vous à tout. Vous ne pourrez jamais décider un trappiste à se battre ; retranché sous son capuchon, il recevra, courbé et les mains en croix, les plus sanglans outrages ; et sachant fort bien que vous ne l’assassinerez pas, il ne vous craindra guère. Et puis, vous ne savez pas ce qu’est la justice dans la main des hommes et de quelle manière un procès criminel est conduit et jugé quand une des parties ne recule devant aucun moyen de séduction et d’épouvante. Le clergé est puissant ; la robe est déclamatoire ; les mots probité et intégrité résonnent depuis des siècles sur les murs endurcis des prétoires, sans empêcher les juges prévarica-