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MAUPRAT.

le cacher, vous le verrez, et vous attribuerez peut-être à des motifs étrangers une tristesse que je ne pourrai pas renfermer avec un constant héroïsme. Vous m’avez profondément affligé hier en m’engageant à sortir un peu pour me distraire. Me distraire de vous, Edmée ! quelle amère raillerie ! ne soyez pas cruelle, ma pauvre sœur, car alors vous redevenez mon impérieuse fiancée des mauvais jours… et, malgré moi, je redeviens le brigand que vous détestiez… Ah ! si vous saviez combien je suis malheureux ! il y a deux hommes en moi qui se combattent à mort et sans relâche ; il faut bien espérer que le brigand succombera, mais il se défend pied à pied, et il rugit parce qu’il se sent couvert de blessures et frappé mortellement. Si vous saviez, si vous saviez, Edmée ! quelles luttes, quels combats ! quelles larmes de sang mon cœur distille, et quelles fureurs s’allument souvent dans la partie de mon esprit que gouvernent les anges rebelles ! Il y a des nuits où je souffre tant, que, dans le délire de mes songes, il me semble que je vous plonge un poignard dans le cœur, et que, par une lugubre magie, je vous force ainsi à m’aimer comme je vous aime. Quand je m’éveille, baigné d’une sueur froide, égaré, hors de moi, je suis comme tenté d’aller vous tuer, afin d’anéantir la cause de mes angoisses. Si je ne le fais pas, c’est que je crains de vous aimer morte avec autant de passion et de ténacité que si vous étiez vivante. Je crains d’être contenu, gouverné, dominé par votre image, comme je le suis par votre personne ; et puis il n’y a pas de moyen de destruction dans la main de l’homme ; l’être qu’il aime et qu’il redoute existe en lui, lorsqu’il a cessé d’exister sur la terre. C’est l’ame d’un amant qui sert de cercueil à sa maîtresse, et qui conserve à jamais ses brûlantes reliques, pour s’en nourrir sans jamais les consumer Mais, ô ciel ! dans quel désordre sont mes idées ! voyez, Edmée, à quel point mon esprit est malade, et prenez pitié de moi. Patientez, permettez-moi d’être triste ; ne suspectez jamais mon dévouement ; je suis souvent fou, mais je vous chéris toujours. Un mot, un regard de vous me rappellera toujours au sentiment du devoir, et ce devoir me sera doux, quand vous daignerez m’en faire souvenir… À l’heure où je vous écris, Edmée, le ciel est chargé de nuées plus sombres et plus lourdes que l’airain ; le tonnerre gronde, et à la lueur des éclairs semblent flotter les spectres douloureux du pur-