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MAUPRAT.

de l’orage qui s’envolait vers d’autres régions. Les arbres, chargés de pluie, s’agitaient encore sous la brise fraîchissante. Profondément triste, mais aveuglément dévoué à la souffrance, je m’endormis soulagé, comme si j’eusse fait le sacrifice de ma vie et de mes espérances. Edmée ne parut pas avoir trouvé ma lettre, car elle n’y répondit pas. Elle avait coutume de le faire verbalement, et c’était pour moi un moyen de provoquer de sa part ces effusions d’amitié fraternelle, dont il fallait bien me contenter, et qui versaient du moins un baume sur ma plaie. J’aurais dû me dire que cette fois ma lettre devait amener une explication décisive, ou être passée sous silence. Je soupçonnai l’abbé de l’avoir soustraite et jetée au feu ; j’accusai Edmée de mépris et de dureté, néanmoins je me tus.

Le lendemain, le temps était parfaitement rétabli. Mon oncle fit une promenade en voiture, et chemin faisant, nous dit qu’il ne voulait pas mourir sans avoir fait une grande et dernière chasse au renard. Il était passionné pour ce divertissement, et sa santé s’était améliorée au point de rendre à son esprit des velléités de plaisir et d’action. Une étroite berline, très légère, attelée de fortes mules, courait rapidement dans les traines sablonneuses de nos bois, et quelquefois déjà il avait suivi de petites chasses, que nous montions pour le distraire. Depuis la visite du trappiste, le chevalier avait comme repris à la vie. Doué de force et d’obstination, comme tous ceux de sa race, il semblait qu’il pérît faute d’émotions ; car le plus léger appel à son énergie rendait momentanément la chaleur à son sang engourdi. Comme il insista beaucoup sur ce projet de chasse, Edmée s’engagea à organiser avec moi une battue générale, et à y prendre une part active. Une des grandes joies du bon vieillard était de la voir à cheval, caracoler hardiment autour de sa voiture, et lui tendre toutes les branches fleuries qu’elle arrachait aux buissons en passant. Il fut décidé que je monterais à cheval pour l’escorter, et que l’abbé accompagnerait le chevalier dans la berline. Le ban et l’arrière-ban des garde-chasses, forestiers, piqueurs, voire des braconniers de la Varenne, fut convoqué à cette solennité de famille. Un grand repas fut préparé à l’office, pour le retour, avec force pâtés d’oies, et vin de terroir. Marcasse, dont j’avais fait mon régisseur à la Roche-Mauprat, et qui avait de grandes connaissances dans l’art de la chasse au renard, passa deux jours entiers à boucher les terriers. Quelques jeunes fer-