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MAUPRAT.

pensée de mal fut la dernière de ma vie. À cette pensée, d’ailleurs, se borna tout mon crime ; le reste fut l’ouvrage de la fatalité.

Saisi d’effroi, je tournai brusquement le dos ; et, tordant mes mains avec désespoir, je m’enfuis par le sentier qui m’avait amené, sans savoir où j’allais, mais comprenant qu’il fallait me soustraire à ces tentations dangereuses. Le jour était brûlant, l’odeur des bois enivrante ; leur aspect me ramenait au sentiment de ma vie sauvage, il fallait fuir ou succomber. Edmée m’ordonnait, d’un geste impérieux, de m’éloigner de sa présence. L’idée de tout autre danger que celui qu’elle courait avec moi ne pouvait, en cet instant, se présenter à ma pensée ni à la sienne ; je m’enfonçai dans le bois. Je n’avais pas franchi l’espace de trente pas, qu’un coup de feu partit du lieu où je laissais Edmée. Je m’arrêtai, glacé d’épouvante, sans savoir pourquoi, car au milieu d’une battue un coup de fusil n’était pas chose étrange ; mais j’avais l’ame si lugubre, que rien ne pouvait me sembler indifférent. J’allais retourner sur mes pas, et rejoindre Edmée, au risque de l’offenser encore, lorsqu’il me sembla entendre un gémissement humain du côté de la tour Gazeau. Je m’élançai, et puis je tombai sur mes genoux, comme foudroyé par mon émotion. Il me fallut quelques minutes pour triompher de ma faiblesse ; mon cerveau était plein d’images et de bruits lamentables, je ne distinguais plus l’illusion de la réalité ; en plein soleil, je marchais à tâtons parmi les arbres. Tout à coup je me trouvai face à face avec l’abbé ; il était inquiet, il cherchait Edmée. Le chevalier ayant été se placer, avec sa voiture, au passage du lancer, et n’ayant pas vu sa fille parmi les chasseurs, avait été saisi de crainte. L’abbé s’était jeté à la hâte dans le bois ; et, bientôt retrouvant la trace de nos chevaux, il venait s’informer de ce que nous étions devenus. Il avait entendu le coup de feu, mais sans en être effrayé. En me voyant pâle, les cheveux en désordre, l’air égaré, sans cheval et sans fusil (j’avais laissé tomber le mien à l’endroit où je m’étais à demi évanoui, et je n’avais pas songé à le relever), il fut aussi épouvanté que moi, et sans savoir, plus que moi-même, à quel propos. « Edmée ! me dit-il, où est Edmée ? » Je lui répondis des paroles sans suite. Il fut si consterné de me voir ainsi, qu’il m’accusa d’un crime en lui-même, comme il me l’a plus tard avoué.

— Malheureux enfant ! me dit-il en me secouant fortement le