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fois le temps d’échapper. Tout m’enhardissait, Edmée ne dépendait plus que de mon caprice. Quand elle vit que les séductions de sa beauté ne pouvaient plus agir sur moi pour me porter à l’enthousiasme, elle cessa de m’implorer et fit quelques pas en arrière dans l’obscurité. — Ouvre la porte, me dit-elle, et sors le premier ou je me tue, car j’ai pris ton couteau de chasse au moment où tu l’oubliais sur le bord de la trappe, et pour retourner chez tes oncles, tu seras obligé de marcher dans mon sang. — L’énergie de sa voix m’effraya. — Rendez ce couteau, lui dis-je, ou à tout risque, je vous l’ôte de force. — Crois-tu que j’aie peur de mourir ? dit-elle avec calme. Si j’avais tenu ce couteau là-bas, je ne me serais pas humiliée devant toi. — Eh bien ! malheur ! m’écriai-je, vous me trompez, vous ne m’aimez pas ? Partez, je vous méprise, je ne vous suivrai pas. — En même temps j’ouvris la porte. — Je ne veux pas partir sans vous, dit-elle, et vous, vous ne voulez pas que nous partions sans que je sois déshonorée. Lequel de nous est le plus généreux ? — Vous êtes folle, lui dis-je, vous m’avez menti, et vous ne savez que faire pour me rendre imbécille. Mais vous ne sortirez pas d’ici sans jurer que votre mariage avec le lieutenant-général ou avec tout autre ne se fera pas avant que vous ayez été ma maîtresse. — Votre maîtresse ? dit-elle, y pensez-vous ? Ne pouvez-vous du moins, pour adoucir l’insolence, dire votre femme ? — C’est ce que diraient tous mes oncles à ma place, parce qu’ils ne se soucieraient que de votre dot. Moi, je n’ai envie de rien autre que de votre beauté. Jurez que vous serez à moi d’abord, et après vous serez libre, je le jure. Si je me sens trop jaloux pour le souffrir, un homme n’a qu’une parole, je me ferai sauter la cervelle. — Je jure, dit Edmée, de n’être à personne avant d’être à vous. — Ce n’est pas cela ; jurez d’être à moi avant d’être à qui que ce soit. — C’est la même chose, répondit-elle, je le jure. — Sur l’Évangile ? sur le nom du Christ ? sur le salut de votre ame ? sur le cercueil de votre mère ? — Sur l’Évangile, sur le nom du Christ, sur le salut de mon ame, sur le cercueil de ma mère. — C’est bon. — Un instant, reprit-elle, vous allez jurer que ma promesse et son exécution resteront un secret entre nous, que mon père ne le saura jamais, ni personne qui puisse le lui redire ? — Ni qui que ce soit au monde. Qu’ai-je besoin qu’on le sache, pourvu que cela soit ? Elle me fit répéter la formule du serment, et