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ne vous rendant pas à l’assignation du lieutenant-criminel ? — Parce que je ne le voulais pas. — Il y a des peines sévères contre ceux dont la volonté ne s’accorde pas toujours avec les lois du royaume. — Possible. — Venez-vous avec l’intention de vous y soumettre aujourd’hui ? — Je viens avec celle de vous les faire respecter. — Je vous préviens que si vous ne changez de ton, je vais vous faire conduire en prison. — Je vous préviens que si vous aimez la justice, et si vous servez Dieu, vous m’entendrez, et suspendrez l’exécution de l’arrêt. Il n’appartient pas à celui qui apporte la vérité de s’humilier devant ceux qui la cherchent. Mais vous qui m’entendez, hommes du peuple dont les grands ne voudraient sans doute pas se jouer ; vous, dont on appelle la voix : voix de Dieu, joignez-vous à moi, embrassez la défense de la vérité qui va être étouffée peut-être sous de malheureuses apparences, ou bien qui va triompher par de mauvais moyens. Mettez-vous à genoux, hommes du peuple, mes frères, mes enfans ; priez, suppliez, obtenez que justice soit faite et colère réprimée. C’est votre devoir, c’est votre droit et votre intérêt ; c’est vous qu’on insulte et qu’on menace quand on viole les lois.

Patience parlait avec tant de chaleur, et la sincérité éclatait en lui avec tant de puissance, qu’il y eut un mouvement sympathique dans tout l’auditoire. La philosophie était alors trop à la mode chez les jeunes gens de qualité pour que ceux-ci ne répondissent pas des premiers à un appel qui ne leur était pourtant pas adressé. Ils se levèrent avec une impétuosité chevaleresque, et se tournèrent vers le peuple, qui se leva, entraîné par ce noble exemple. Il y eut une clameur furieuse, et chacun, sentant sa dignité et sa force, oublia les préventions personnelles pour se réunir dans le droit commun. Ainsi, quelquefois il suffit d’un noble élan et d’une parole vraie pour ramener les masses égarées par de longs sophismes.

Le sursis fut accordé, et je fus reconduit à ma prison au milieu des applaudissemens. Marcasse me suivit. Patience se déroba à ma reconnaissance, et disparut.

La révision de mon jugement ne pouvait se faire que sur un ordre du grand conseil. Pour ma part, j’étais décidé, avant l’arrêt, à ne point me pourvoir auprès de cette chambre de cassation de l’ancienne jurisprudence ; mais l’action et le discours de Patience