croire que vous êtes un saint ! — Je suis capable de me conduire comme un saint, et vous vous conduisez comme un imbécille. Est-ce que vous pouvez vous tenir une heure de jurer, et de casser les pots après dîner ? — Dites donc, Népomucène, est-ce que vous espéreriez sortir de là bien net, si j’avais une affaire criminelle ? reprit l’autre. — Qui sait ? répondit le trappiste, je n’ai point pris part à votre folie, ni conseillé rien de ce genre.
— Ah ! ah ! le bon apôtre ! s’écria Antoine en se renversant de rire sur sa chaise, vous en êtes bien content, à présent que cela est fait. Vous avez toujours été lâche, et, sans moi, vous n’auriez imaginé rien de mieux que d’aller vous faire trappiste, pour singer la dévotion, et venir ensuite vous faire absoudre du passé, afin d’avoir le droit de tirer un peu d’argent aux casse-têtes de Sainte-Sévère. Belle ambition, ma foi ! que de crever sous un froc après s’être gêné toute sa vie, et n’avoir pris que la moitié de tous les plaisirs, encore en se cachant comme une taupe ! Allez, allez, quand on aura pendu le gentil Bernard, que la belle Edmonde sera morte, et que le vieux casse-cou aura rendu ses grands os à la terre, quand nous hériterons de cette jolie fortune-là, vous trouverez que c’est là un joli coup de Jarnac ; se défaire de trois à la fois ! Il m’en coûtera bien un peu de faire le dévot, moi qui n’ai pas les habitudes du couvent et qui ne sais pas porter l’habit ; aussi je jetterai le froc aux orties, et je me contenterai de bâtir une chapelle à la Roche-Mauprat, et d’y communier quatre fois l’an.
— Tout ce que vous avez fait là est une sottise et une infamie ! — Ouais ! ne parlez pas d’infamie, mon doux frère ! ou je vous fais avaler cette bouteille toute cachetée. — Je dis que c’est une sottise, et que si cela réussit, vous devez une belle chandelle à la Vierge ; si cela ne réussit pas, je m’en lave les mains, entendez-vous ? Quand j’étais caché dans la chambre secrète du donjon, et que j’ai entendu Bernard conter à son valet, après souper, qu’il perdait l’esprit pour la belle Edmée, je vous ai dit en l’air qu’il y aurait là un joli coup à faire ; et, comme une brute, vous avez pris la chose au sérieux ; vous avez été, sans me consulter, et sans attendre un moment favorable, exécuter une chose qui voulait être pesée et mûrie. — Le moment favorable, cœur de lièvre que vous êtes ! et où donc l’aurais-je retrouvé ? L’occasion fait le larron. Je me vois surpris par la chasse au milieu du bois ; je