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les lieux, son frère le ferait arrêter aussitôt après que Bernard aurait la tête tranchée, afin d’avoir l’héritage à lui tout seul, Jean, poussé à bout, le menaça sérieusement de le dénoncer et de le livrer à la justice. « Baste ! vous vous en garderez bien, après tout, reprit Antoine, car si Bernard est absous, adieu l’héritage ! » C’est ainsi qu’ils se séparèrent. Le vrai trappiste s’en alla fort soucieux, l’autre s’endormit les coudes sur la table. Je sortis de ma cachette pour procéder à son arrestation. C’est dans ce moment que la maréchaussée, qui est à mes trousses depuis longtemps pour me forcer à venir témoigner, me mit la main au collet. J’eus beau désigner le moine comme l’assassin d’Edmée, on ne voulut pas me croire, et on me dit qu’on n’avait pas d’ordre contre lui. Je voulais ameuter le village, on m’empêcha de parler ; on m’amena ici de brigade en brigade comme un déserteur, et, depuis huit jours, je suis au cachot sans qu’on daigne faire droit à mes réclamations. Je n’ai même pu voir l’avocat de M. Bernard, et lui faire savoir que j’étais en prison ; c’est tout-à-l’heure seulement que le geôlier est venu me dire qu’il fallait endosser son habit et comparoir. Je ne sais pas si tout cela est dans les formes de la justice ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que l’assassin aurait pu être arrêté et qu’il ne l’est pas, et qu’il ne le sera pas si vous ne vous assurez de la personne de M. Jean de Mauprat pour l’empêcher d’avertir, je ne dis pas son complice, mais son protégé. Je fais serment que dans tout ce que j’ai entendu, M. Jean de Mauprat est à l’abri de tout soupçon de complicité ; quant à l’action de laisser livrer à la rigueur des lois un innocent, et de vouloir sauver un coupable, au point de feindre sa mort, par de faux témoignages et de faux actes… Patience, voyant que le président allait encore l’interrompre, se hâta de terminer son discours en disant : Quant à cela, messieurs, il appartient à vous et non à moi de le juger.

xxviii.

Après cette déposition importante, la cour suspendit pendant quelques instans la séance, et lorsqu’elle rentra, Edmée fut ramenée en sa présence. Pâle et brisée, pouvant à peine se traîner jusqu’au fauteuil qui lui était réservé, elle montra cependant une grande force et une grande présence d’esprit.