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MAUPRAT.

enfin elle reconnut fort bien la lettre qu’on avait trouvée sur elle ; et la prenant, elle en rétablit les passages mutilés avec une mémoire surprenante et en priant le greffier de suivre avec elle les mots à demi effacés. — Cette lettre est si peu une lettre de menace, dit-elle, et l’impression que j’en ai reçue est si peu celle de la crainte et de l’aversion, qu’on l’a trouvée sur mon cœur où je la portais depuis huit jours, bien que je n’eusse pas seulement avoué à Bernard que je l’eusse reçue.

— Mais vous n’expliquez point, lui dit le président, pourquoi il y a sept ans, dans les premiers temps du séjour de votre cousin auprès de vous, vous étiez armée d’un couteau que vous placiez toutes les nuits sous votre oreiller, et que vous aviez fait aiguiser pour un cas urgent de défense.

— Dans ma famille, répondit-elle en rougissant, on a l’esprit assez romanesque et l’humeur très fière. Il est vrai que j’eus plusieurs fois dessein de me tuer parce que je sentais naître en moi, pour mon cousin, un penchant insurmontable. Me croyant liée par des engagemens indissolubles à M. de La Marche, je serais morte plutôt que de manquer à ma parole, et plutôt que d’épouser un autre homme que Bernard. Plus tard, M. de La Marche me rendit ma promesse avec beaucoup de délicatesse et de loyauté, et je ne songeai plus à mourir.

Edmée se retira suivie de tous les regards et d’un murmure approbateur. À peine avait-elle franchi la porte du prétoire qu’elle s’évanouit de nouveau, mais cette crise n’eut pas de suites graves et ne laissa pas de traces au bout de quelques jours.

J’étais si bouleversé, si enivré de ce qu’elle venait de dire, que je ne vis plus guère ce qui se passait. Concentré dans la seule pensée de mon amour, je doutais pourtant, car si Edmée n’avait pas avoué tous mes torts, elle pouvait bien aussi avoir exagéré son inclination pour moi dans le dessein d’atténuer mes défauts. Il m’était impossible de croire qu’elle m’eut aimé avant mon départ pour l’Amérique, et surtout dès les premiers temps de mon séjour auprès d’elle. Je n’avais que cette préoccupation dans l’esprit ; je ne me souvenais même plus de la cause ni du but de mon procès. Il me semblait que la question agitée dans ce froid aréopage était uniquement celle-ci : Est-il aimé, ou n’est-il pas aimé ? Le triomphe ou la défaite, la vie ou la mort, n’étaient que là pour moi.