Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
638
REVUE DES DEUX MONDES.

tourer Edmée, ne contribuèrent pas moins que le beau spectacle des montagnes à chasser sa mélancolie et à effacer le souvenir des orages que nous venions de traverser. La Suisse produisit sur le cerveau poétique de Patience un effet magique. Il entrait souvent dans une telle exaltation, que nous en étions à la fois ravis et effrayés. Il fut tenté de se construire un chalet au fond de quelque vallée, et d’y passer le reste de ses jours dans la contemplation de la nature ; mais sa tendresse pour nous le fit renoncer à ce projet. Marcasse déclara, par la suite, que malgré tout le plaisir qu’il avait goûté dans notre compagnie, il regardait ce voyage comme le temps le plus funeste de sa vie. À l’auberge de Martigny, lors de notre retour, Blaireau, dont l’âge avancé rendait les digestions pénibles, mourut victime du trop bon accueil qu’il reçut à la cuisine. Le sergent ne dit pas un mot, le contempla quelque temps d’un air sombre, et alla l’enterrer dans le jardin, sous le plus beau rosier ; il ne parla de sa douleur que plus d’un an après.

Pendant ce voyage, Edmée fut pour moi un ange de bonté et de sollicitude ; s’abandonnant désormais à toutes les inspirations de son cœur, n’ayant plus aucune méfiance contre moi, ou se disant que j’avais été assez malheureux pour mériter ce dédommagement, elle me confirma mille fois les célestes assurances d’amour qu’elle avait données en public, lorsqu’elle avait élevé la voix pour proclamer mon innocence. Quelques réticences qui m’avaient frappé dans sa déposition, et le souvenir des paroles accusatrices qui lui étaient échappées lorsque Patience l’avait trouvée assassinée, me laissèrent, je l’avoue, une assez longue souffrance. Je pensai, avec raison peut-être, qu’Edmée avait fait un grand effort pour croire à mon innocence avant les révélations de Patience. Mais elle s’expliqua toujours avec beaucoup de délicatesse et un peu de réserve à cet égard. Cependant un jour elle ferma la plaie en me disant avec sa brusquerie charmante : — Et si je t’ai aimé assez pour t’absoudre dans mon cœur et pour te défendre devant les hommes au prix d’un mensonge, qu’as-tu à dire ?

Ce qui ne m’importait pas moins, c’était de savoir à quoi m’en tenir sur l’amour qu’elle prétendait avoir eu pour moi dès les premiers jours de notre liaison. Ici elle se troubla un peu, comme si dans son invincible fierté elle eût regretté la jalouse possession de son secret. Ce fut l’abbé qui se chargea de me faire sa confession,