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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/652

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REVUE DES DEUX MONDES.

chose de mieux. Patience retourna à sa cabane, et, refusant toujours de rien changer à sa vie sobre et retirée, reprit à certains jours de la semaine ses fonctions de grand-juge et de trésorier. Marcasse resta près de moi jusqu’à sa mort, qui arriva vers la fin de la révolution française ; j’espère m’être acquitté de mon mieux envers lui par une amitié sans restriction et une intimité sans nuages.

Arthur, qui nous avait sacrifié une année de son existence, ne put se résoudre à abjurer l’amour de sa patrie et le désir de contribuer à son élévation en lui apportant le tribut de ses connaissances et le résultat de ses travaux ; il repartit pour Philadelphie où j’allai le voir après mon veuvage.

Je ne vous raconterai pas le bonheur que je goûtai avec ma noble et généreuse femme. De telles années ne se racontent pas. On ne saurait se décider à vivre après les avoir perdues, si on ne faisait tous ses efforts pour ne pas trop se les rappeler. Elle me donna six enfans dont quatre vivent encore et sont avantageusement et sagement établis. Je me flatte qu’ils achèveront d’effacer la mémoire déplorable de leurs ancêtres. J’ai vécu pour eux, par l’ordre d’Edmée à son lit de mort. Permettez-moi de ne vous point parler autrement de cette perte que j’ai faite il y a seulement dix ans ; elle m’est aussi sensible qu’au premier jour, et je ne cherche point à m’en consoler, mais à me rendre digne de rejoindre dans un monde meilleur, après avoir accompli mon temps d’épreuve, la sainte compagne de ma vie. Elle fut la seule femme que j’aimai ; jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. Je suis ainsi fait ; ce que j’aime, je l’aime éternellement, dans le passé, dans le présent, dans l’avenir.

Les orages de la révolution ne détruisirent point notre existence, et les passions qu’elle souleva ne troublèrent pas l’union de notre intérieur. Nous fîmes de grand cœur, et en les considérant comme de justes sacrifices, l’abandon d’une grande partie de nos biens aux lois de la république. L’abbé, effrayé du sang versé, renia parfois sa religion politique, quand les nécessités du temps dépassèrent la force de son ame. Il fut le girondin de la famille.

Edmée eut plus de courage sans avoir moins de sensibilité ; femme et compatissante, elle souffrit profondément des misères de tous les partis, elle pleura tous les malheurs de son siècle, mais elle n’en méconnut jamais la grandeur saintement fanati-