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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

d’incomplet, offre toujours, dans l’histoire littéraire, quelque chose qui attache. S’il se rencontre surtout dans une nature aimable, facile, qui n’a en rien l’ambition de ce rôle et qui ignore absolument qu’elle le remplit ; s’il se produit en œuvres légères, courtes, inachevées, mais sorties et senties du cœur ; s’il se termine en une brève jeunesse, il devient tout-à-fait intéressant. C’est là le sort de Millevoye ; c’est la pensée que son nom harmonieux suggère. Entre Delille qui finit et Lamartine qui prélude, entre ces deux grands règnes de poètes, dans l’intervalle, une pâle et douce étoile un moment a brillé ; c’est lui.

Le Brun qui avait (il n’est pas besoin de le dire) bien autrement de force et de nerf que Millevoye, mais qui était, à quelques égards aussi, simple précurseur d’un art éclatant, Le Brun tente des voies ardues, heurte à toutes les portes de l’Olympe lyrique, et, après plus de bruit que de gloire, meurt, corrigeant et recorrigeant des odes qui n’ont à aucun temps triomphé. Il y a dans cette destinée quelque chose de toujours à côté, pour ainsi dire, et qui ne satisfait pas. Fontanes, connu par des débuts poétiques purs et touchans, s’en retire bientôt, s’endort dans la paresse, et s’éclipse dans les dignités : c’est là une fin non poétique, assez discordante, et que l’imagination n’admet pas. André Chénier, lui, nature gracieuse et studieuse, mais énergique pourtant et passionnée, vaincu violemment et intercepté avant l’heure, a son harmonie à la fois délicate et grande. Millevoye, en son moindre genre, a la sienne également. Chez lui, l’accord est parfait entre le moment de la venue, le talent et la vie. Il chante, il s’égaie, il soupire, et, dans son gémissement, s’en va, un soir, au vent d’automne, comme une de ces feuilles dont la chute est l’objet de sa plus douce plainte ; il incline la tête, comme fait la marguerite coupée par la charrue, ou le pavot surchargé par la pluie. De tous les jeunes poètes qui ne meurent, ni de désespoir, ni de fièvre chaude, ni par le couteau, mais doucement et par un simple effet de lassitude naturelle, comme des fleurs dont c’était le terme marqué, Millevoye nous semble le plus aimé, le plus en vue, et celui qui restera.

Il y a mieux. En nous tous, pour peu que nous soyons poètes, et si nous ne le sommes pourtant pas décidément, il existe ou il a existé une certaine fleur de sentimens, de désirs, une certaine rêverie première, qui bientôt s’en va dans les travaux prosaïques,