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cle, et devenir, dans une satire ou une épître, la plus vive expression de ce monde épicurien et sceptique.

Mais le temps de la régence, fort peu poétique par les habitudes et les mœurs, attachait un respect de tradition aux formes les plus sérieuses de l’art. La célébrité, la gloire, ne s’obtenaient qu’en les observant. Aussi Voltaire, en achevant Œdipe, commençait un poème épique sans songer si, dans les habitudes de son temps et de son propre génie, il trouvait cette grande vocation : il voulait la gloire, le bruit, la première place dans les lettres. Depuis Œdipe, il la cherchait au théâtre avec des revers ou des succès douteux, dans Artémire, Ériphile, Marianne. Il était à la fois très laborieux et très dissipé, répandu dans le monde et à la cour, aimant avec passion les vers, les plaisirs et même le jeu, voyageant sans cesse de château en château, travaillant sur les routes, s’occupant de tout, même de sa fortune, et, à travers un poème épique, faisant de bonnes affaires avec les traitans, par le crédit des maîtresses de princes. Il pratiquait déjà cet art de flatter pour oser impunément ; il adressait de Cambrai même des louanges à l’indigne successeur de Fénélon, au cardinal Dubois ; mais la vue d’Amsterdam et de La Haye lui arrachait un cri d’indépendance : « Ici, pas un oisif, pas un pauvre, pas un petit-maître, pas un insolent. Nous rencontrâmes le pensionnaire à pied, sans laquais, au milieu de la populace. On ne voit personne qui ait de cour à faire ; on ne se met pas en haie pour voir passer un prince ; on ne connaît que le travail et la modestie.

Bientôt, cependant, il revenait aux grands seigneurs de la cour de France, aux Villars, aux Sully, aux Richelieu. Il était des voyages de Fontainebleau ; il faisait des vers pour Mme de Prie, avait pension sur la cassette, et était assez content de la jeune reine, qui pleurait à Marianne, riait à l’Indiscret, et l’appelait, dit-il, mon pauvre Voltaire.

Déjà une édition de la Henriade avait paru, furtive, incomplète, mais saillante de pensées, et pleine de beautés d’autant plus au goût du siècle qu’elles étaient moins épiques. Malgré son adresse et ses amis, le jeune poète, suspect de témérité philosophique, n’avait pu la dédier au roi. On murmurait dans le haut clergé contre certains endroits du poème, on parlait d’une censure de Sorbonne ; mais la faveur publique était grande et protégeait le