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UN CAPRICE.

MADAME DE LÉRY

L’enjeu est une discrétion[1].

CHAVIGNY

Soit. — J’appelle rouge.

MADAME DE LÉRY

C’est le valet de pique ; vous avez perdu. Donnez-moi cette bourse bleue.

CHAVIGNY

De tout mon cœur, mais je garde la rouge, et quoique sa couleur m’ait fait perdre, je ne le lui reprocherai jamais ; car je sais aussi bien que vous quelle est la main qui me l’a faite.

MADAME DE LÉRY

Est-elle petite ou grande, cette main ?

CHAVIGNY

Elle est charmante et douce comme le satin.

MADAME DE LÉRY

Lui permettez-vous de satisfaire un petit mouvement de jalousie ?

(Elle jette au feu la bourse bleue.)
CHAVIGNY

Ernestine, je vous adore.

MADAME DE LÉRY regarde brûler la bourse. Elle s’approche de Chavigny et lui dit tendrement :

Vous n’aimez donc plus Mme de Blainville ?

CHAVIGNY

Ah ! grand Dieu ! je ne l’ai jamais aimée.

MADAME DE LÉRY

Ni moi non plus, monsieur de Chavigny.

CHAVIGNY

Mais qui a pu vous dire que je pensais à cette femme-là ? Ah ! ce n’est pas elle à qui je demanderai jamais un instant de bonheur ; ce n’est pas elle qui me le donnera !

MADAME DE LÉRY

Ni moi non plus, monsieur de Chavigny. Vous venez de me faire un petit sacrifice, et c’est très galant de votre part ; mais je ne veux pas vous tromper : la bourse rouge n’est pas de ma façon.

CHAVIGNY

Est-il possible ? Qui est-ce donc qui l’a faite ?

  1. On appelle discrétion un pari dans lequel le perdant s’oblige à donner au gagnant ce que celui-ci lui demande, à sa discrétion.