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LE SALON DU ROI.

préter, le public se familiariserait peu à peu avec la réflexion ; il apprendrait à juger par lui-même, au lieu de répéter les paroles entendues ; et cette personnalité progressive de la foule, en donnant aux œuvres d’invention, sinon une valeur plus grande, du moins une plus grande popularité, serait pour les artistes un encouragement, un motif d’émulation. Ce que nous faisons aujourd’hui, que d’autres le fassent, et nous sommes assuré que l’art y gagnera.

L’Agriculture et l’Industrie sont très supérieures au Commerce et à la Guerre, soit par la grace des détails, soit par la pureté harmonieuse des lignes. La critique la plus sévère et la plus patiente trouve à peine quelques taches légères à signaler dans ces deux admirables compositions. Je ne crois pas qu’il soit possible de présenter sous une forme plus riche et plus animée les travaux de l’agriculture et la joie de la vie champêtre. Toutes les attitudes, toutes les physionomies inventées par M. Delacroix, respirent la force et le bonheur. Il a su rajeunir et renouveler sans plagiat, mais aussi sans défiance, la figure épanouie du Silène antique. Il était difficile, en effet, de trouver pour la peinture une figure plus heureuse que celle de Silène. Mais les buveurs de M. Delacroix, bien qu’unis à la sculpture païenne par une évidente parenté, ne sont cependant pas copiés sur les marbres d’Athènes ou de Rome. Quoiqu’ils rappellent par leur énergie la belle composition de Rubens sur le même sujet, ils ne sont pas dérobés à ce grand maître. Ils appartiennent, en toute propriété, au peintre français, et l’originalité réelle est assez rare aujourd’hui pour que nous prenions plaisir à proclamer celle dont M. Delacroix a fait preuve en cette occasion. Nous étions habitué dès long-temps à le voir nouveau dans les choses nouvelles ; dans le Salon du Roi, il s’est montré nouveau en traitant un thème antique. C’est un témoignage éclatant de puissance qui n’appartient qu’à l’union de l’imagination et de la volonté. Toutefois notre admiration même nous impose le devoir de relever la seule faute que nous ayons aperçue dans cette création. À la gauche du spectateur, il y a une figure dont la tête et le corps expriment bien l’ivresse, mais dont les jambes, n’étant pas soutenues, tombent en décrivant des lignes malheureuses. Toutes les autres figures de l’agriculture sont si bien à leur place, que la figure dont je parle ne peut manquer de déplaire aux yeux attentifs. Dans une composition si importante, une pareille faute est bien peu de chose,