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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

chiens jaunes. Toute la maison nous appartenait, et je m’en allais de chambre en chambre regardant les tableaux, et m’abandonnant à mon imagination. Si le temps était beau, mon père m’envoyait à la ville chercher des livres au cabinet de lecture. Je revenais le soir, et je rapportais au bout d’un bâton mes six volumes enveloppés dans un mouchoir. Quand nous avions pris le thé, quand la lumière était sur la table, nous ne nous inquiétions plus ni de l’orage, ni de la pluie, ni de la neige. Mon père, assis dans son fauteuil, enveloppé dans sa robe de chambre, avec un petit chien sur ses genoux, lisait à haute voix. Quelquefois je lisais de mon côté et je suivais Albert Julius[1] et Robinson dans leur île ; je m’égarais avec Aladdin dans le pays des fées, et mes heures se passaient joyeusement avec Tom Jones, avec Siegfried de Lindenberger[2] ? »

À l’âge de neuf ans, dans ses heures de solitude, il sentit s’éveiller en lui l’instinct poétique. Il composa un psaume. Les rimes de ce premier poème n’étaient pas des mieux assorties, les vers n’avaient pas tous la mesure exacte. Il manquait çà et là une syllabe, une césure ; mais sans avoir encore lu ni Horace, ni Boileau, le jeune poète suivit leur précepte. Il remit l’œuvre sur le métier, et parvint à la rajuster assez bien. Cet essai l’enhardit. Il lisait Holberg ; il voulut, comme lui, écrire des pièces de théâtre. Le sujet en était pris dans toutes les histoires de voyages et tous les contes de brigands ou de sorciers qu’il entendait raconter. L’une des grandes salles du château lui servait de théâtre ; un canapé représentait une montagne, un poêle en faïence était une maison isolée sur une grande route ; et quand on avait posé un fagot au milieu de la salle, on devait le regarder comme une vaste et profonde forêt, dangereuse à traverser. Sa sœur jouait tous les rôles de mère éperdue, d’amante trahie, et un de ses camarades d’école avait un merveilleux talent pour représenter les traîtres de mélodrames et les empereurs romains. Le répertoire ne se composait que de pièces à trois rôles. Mais que d’évènemens se passaient entre ces trois rôles ! Combien de cris d’alarme ! combien de coups d’épée ! Les murs de Frederiksberg doivent en avoir conservé le souvenir.

Pour compléter le succès du poète, ou plutôt pour le sanction-

  1. Roman allemand du xviiie siècle.
  2. Roman allemand.