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car c’est un enfant de génie qui s’ignore lui-même ; c’est un musicien que le charme de l’inspiration entraîne et qui chante parfois sans s’apercevoir que les cordes de sa harpe sont détendues et que l’instrument a baissé de ton.

Sa vraie gloire n’est donc pas d’avoir été plus fécond que Gœthe et plus varié que Schiller, d’avoir promené sa fantaisie du nord au sud, et d’avoir su trouver sur sa palette des couleurs pour peindre les féeries de l’Orient et les sombres paysages scandinaves. Sa vraie gloire, c’est d’avoir produit quelques œuvres fermes et fortes, qui ont pris racine parmi le peuple et qui resteront ; c’est d’avoir compris la poésie du Nord, la poésie nationale, qu’Ewald avait simplement indiquée dans Rolf Krage et Baldurs Dœd.

On sait que toute l’histoire ancienne du Danemark est dans les sagas islandaises et toute sa mythologie dans l’Edda. Œhlenschlœger a étudié à fond ces traditions primitives de son pays et se les est appropriées. Il a reproduit tous ces mythes, tous ces récits héroïques, avec une fidélité rare et une complète originalité. Souvent il n’a trouvé, dans ces landes mythologiques, qu’un monument informe, inachevé, et il a fait de quelques strophes éparses un poème, d’une esquisse un tableau, d’un marbre brut un groupé animé. Il a rajeuni et rapproché de son temps toutes ces figures entourées de nuages, et les a fait aimer au peuple en les abritant de son manteau poétique. Les vieux héros scandinaves sont entrés dans la demeure du paysan, et le Valhalla s’est ouvert aux regards de la foule avec ses combats éternels et ses Valkyries. Quelques-unes de ces compositions, comme par exemple, les Dieux du Nord (Nordens Guder), ont une majesté homérique. Quelques autres, comme la saga de Hroar, et celle de Vanlundur, sont le récit exact et suivi de plusieurs faits décousus et racontés en divers lieux. Presque toutes peuvent être regardées comme des documens authentiques qu’il est permis de citer[1].

C’est dans ces drames surtout qu’il a dépeint le caractère audacieux, la vie aventureuse des anciens hommes du Nord. C’est là qu’on voit reparaître tous ces guerriers avides de combats, tous ces rois de la mer qui embrassent leur épée avec amour et divi-

  1. M. le professeur Heiberg, de Copenhague, a publié un livre intitulé : Mythologie du Nord, d’après l’Edda et les poésies d’Œhlenschlœger.