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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

muse grecque un éclat nouveau qui ravit les compatriotes de Milton.

Toutefois, ne nous y trompons pas, Pope était peut-être plus rapproché de La Motte que de l’antiquité grecque ; et, je ne m’étonne pas si Mme Dacier, avec son intolérance et sa sagacité de femme passionnée, crut démêler dans les préfaces admiratives de Pope un enthousiasme trop froid pour le génie d’Homère, et lui en écrivit amèrement. À vrai dire, Pope était peu fait pour sentir le grand naturel des poèmes homériques, et cette aimable simplicité du monde naissant, comme dit Fénélon. Il était philosophe sentencieux, bel esprit, admirateur de l’élégance sociale. Ce qu’il avait au-dessus de La Motte, c’était l’imagination de style et le don d’écrire en vers. Il était l’élève de cette belle école poétique de Racine et de Boileau que dénigrait La Motte ; il avait étudié, dans leurs ouvrages et dans Virgile, le grand art de l’élégance continue, de la grace correcte. À cela, il joignait un tour particulier de concision et de finesse : jamais poète ne mit plus d’esprit dans les allusions et dans les contrastes ; mais il s’agissait de traduire Homère.

Essayons d’étudier, dans quelques détails, cette moderne restauration d’un temple antique. Quelle place doit-elle occuper dans l’histoire de l’art ? Les critiques anglais reconnaissent que le vers de Pope réunit la force et l’élégance, la précision et l’harmonie ; que son expression est prise aux sources les plus pures de l’idiome anglais, et que, dans ce long travail, la verve ni l’art ne faiblissent. Quelle objection pourra faire un étranger ? une seule, mais générale.

L’Homère de Pope passe pour admirable ; mais il n’est pas du tout homérique. Cette diction primitive, aux images éclatantes, sans périphrases et sans antithèses, disparaît dans la versification habile et symétrique du traducteur anglais. Les mœurs, les pensées, les détails sont les mêmes (Pope n’avait pas songé comme La Motte à refaire l’Iliade) ; mais le langage, cette vie extérieure, cette physionomie de l’ame, est tout autre ; et de là, je crois, un pénible mécompte pour l’homme de goût qui lit cette traduction tant vantée. Cette faute est la seule de l’ouvrage ; mais elle y est à toutes les pages. Homère dit :

Le fils de Jupiter et de Latone, irrité contre le roi, suscita dans l’armée un mal destructeur, et les peuples mouraient.