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tale et de Porto avec un certain nombre d’hommes politiques, dont la fuite avait rendu l’opposition sans danger. Appuyé chaleureusement par l’Espagne, assuré d’obtenir bientôt une reconnaissance déjà arrêtée en principe par les plus importantes d’entre les cours, et que l’Angleterre elle-même se bornait à marchander en la mettant au prix d’une amnistie, ce prince semblait régner dans les conditions les plus favorables pour justifier à la fois aux yeux du monde et sa vie antérieure et le vieux régime dont il était le représentant.

Cependant ce règne fut atroce ; il épouvanta l’Europe ; il fut pour le Portugal le signal de la ruine et de la désolation. C’est d’abord la banque qui succombe[1] ; puis, les emprunts forcés et les confiscations remplissent les caisses publiques sans suffire aux besoins même les plus urgens. L’échafaud se dresse, le pays se dépeuple, et les cachots s’emplissent, à ce point que deux ans après l’avénement de don Miguel, avant même qu’il eût à se défendre contre l’invasion pédriste, la cinquantième partie de la population du royaume était emprisonnée ou en fuite[2] ! C’était à la lettre l’opinion libérale tout entière ; car, en Portugal, cette opinion n’excède guère ce chiffre : premier exemple peut-être d’un emprisonnement en masse que la loi des suspects avait conçu plutôt qu’elle ne l’avait réalisé.

Que si maintenant les hommes de conscience, à quelque école qu’ils appartiennent, se prennent à réfléchir à cette longue série de violences et de proscriptions exercées dans la pleine possession du pouvoir matériel, il est impossible qu’ils ne puisent pas là de graves enseignemens. Voici un pays où, à part une minorité presque imperceptible quant au nombre, toutes les classes, soit conviction, soit routine, adhèrent à un certain système de gouvernement, et pourtant ce système, avant même que don Pedro eût débarqué en Europe et menaçât le Portugal, ne peut se maintenir qu’à l’aide de rigueurs inouies dans les annales des peuples civilisés. L’autorité de don Miguel n’était méconnue que par une poignée d’hommes réfugiés sur un rocher des Açores et par quelques proscrits vivant à

  1. La banque de Lisbonne fut la seule création de la révolution de 1820 qui survécut à sa chute. Elle rendit pendant plusieurs années les plus grands services au Portugal ; mais, à l’avénement de don Miguel, elle dut suspendre ses paiemens.
  2. Cette assertion, dont nous ne garantissons pas du reste la parfaite exactitude, appartient au journal the Courier, qui, d’après des documens recueillis à cette époque, calcula qu’au 1er juillet 1831, 26,270 personnes avaient été jetées dans les cachots, 1,600 déportées en Afrique, 37 exécutées ; 5,000 étaient contumaces ; à quoi il faut joindre 13,700 émigrés : total 46,604. Ajoutons que ce calcul, qu’on peut trouver reproduit dans l’Annuaire pour 1831, était fait avant la conspiration militaire du 22 août, par suite de laquelle une cour martiale fit fusiller quarante soldats seulement du 2ème régiment de ligne.