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REVUE DES DEUX MONDES.

Attendant qu’une voix proclame enfin mon nom.
Chacun me fuit, me raille ou me cache sa vie ;
On dirait que je suis la Misère ou l’Envie ;
Ceux même qui jadis m’invoquaient à genoux,
Ceux à qui j’ai donné mes larmes les plus pures,
Ceux dont mes propres mains ont lavé les blessures,
Et que j’avais rendus glorieux entre tous,
Sans espoir de retour ils m’ont abandonnée,
Pour courir, au milieu d’une troupe effrénée,
Après l’ambition, cette folle du jour,
Que l’on suit au hasard, dans l’ombre et sans amour !
Ô mes pleurs éternels, mes larmes cristallines,
Que ne vous ai-je donc versés sur les collines,
Sur la vallée en fleurs, dans l’air, sur les chemins,
Partout, hélas ! plutôt qu’en leurs ingrates mains !
Car, par cet art profond qu’ils tiennent de l’étude,
Des chastes gouttes d’eau que dispersent les vents,
Ils ont fait à loisir perles et diamans,
Qu’ils devaient tous, un jour, vendre à la multitude.
Encore s’ils voulaient me reconnaître ! hélas !
Nul ne me sourit d’aise ou ne me tend les bras ;
Et sur le siége acquis à leur sollicitude,
Ils me refuseraient une place auprès d’eux,
À moi, fille de l’air, qui leur ouvrais les cieux.

Je chante cependant quand la douleur me gagne,
Et me roule au hasard comme un céleste oiseau ;
Car l’inspiration est telle en mon cerveau
Que la neige amassée au pic de la montagne.
Quand la terre en amour chante son gai réveil,
Quand le printemps lascif vient réjouir le monde,
Elle fond et palpite aux baisers du soleil,
Et montre à l’œil du ciel sa nudité profonde.
Ensuite dans sa source elle s’émeut et gronde,
Puis de son cours prochain avertit les échos,
Et dès-lors, qu’on l’attende ou non dans la vallée,
Elle prend son élan et s’épanche à grands flots,
Et, selon que sa course est plus ou moins troublée,
Devient en un moment le fleuve ou le ravin,