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LES VOIX INTÉRIEURES.

a un égal besoin de naturel, de vraisemblance et de logique ; les actions racontées, pas plus que les actions mises en scène, ne peuvent se passer de caractères posés simplement, de passions sincères, de personnages vivans et pareils, quoique supérieurs, aux hommes que nous voyons tous les jours ; mais comme la majorité n’a pas le loisir de méditer sur les conditions fondamentales du récit, elle continuera long-temps encore de lire avec indulgence, sinon avec sympathie, des romans invraisemblables, et de hausser les épaules à la tentation d’un drame dicté par la seule fantaisie.

Cependant il serait injuste, il serait absurde de croire que le développement de la faculté lyrique s’oppose absolument au développement de la faculté dramatique. Quelque grande que soit la distance qui sépare le drame de l’ode, cette distance n’est pas infranchissable. Mais la poésie lyrique, telle que la conçoit M. Hugo, telle qu’il l’a réalisée depuis neuf ans, telle qu’il la voudra réaliser sans doute jusqu’à la fin de sa carrière, s’occupe de l’image bien plus que de l’idée, du mot bien plus que de l’homme, de la rime bien plus que de l’émotion ; or, si l’idée, en tant qu’humaine, peut se transformer et passer de l’ode au drame, le mot n’a pas la même faculté. À notre avis, les Feuilles d’automne sont le meilleur recueil lyrique de M. Hugo ; et ce recueil n’est que l’ébauche d’une manière que l’auteur n’a pas complétée. Venues après les Orientales, qui célébraient la couleur et l’étendue à l’exclusion du sentiment et de la pensée, les Feuilles d’automne promettaient une conversion qui ne s’est pas accomplie ; elles montraient moins d’admiration pour les choses, un peu plus de sympathie pour l’homme ; cette sympathie n’a pas été de longue durée. Les Chants du crépuscule, avec moins d’éclat, et surtout moins d’unité que les Orientales, expriment cependant, au même degré que les Orientales, l’amour de la couleur et de l’étendue, et négligent presque toujours de montrer l’homme sous le velours, la femme sous le satin. Il est donc permis d’affirmer que la poésie lyrique de M. Hugo appartient plutôt à la langue qu’à la pensée, et c’est ce qui explique pourquoi l’auteur des Orientales, après avoir exécuté, dans ses strophes disciplinées, les plus savantes évolutions, après avoir fait manœuvrer la césure et la rime en tacticien consommé, n’a pas réussi à nous montrer des hommes de la famille humaine. Il a transformé sa parole, il n’a pu transformer sa personnalité. Il avait préféré, dans ses odes, le mot à l’idée, et comme rien ne le gênait dans le maniement des mots, il avait accompli des prodiges ; en se continuant, en appliquant à la création des personnages dramatiques le procédé qui