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LES VOIX INTÉRIEURES.

stérile pour la grandeur de son nom, pour la popularité de sa pensée. Cependant il est bon d’analyser les Voix intérieures, comme si M. Hugo débutait aujourd’hui, comme s’il n’avait pas déjà écrit dix-huit mille vers lyriques, avec la même opulence de rime, avec la même mobilité de césure, avec la même variété de synonymie ; car cette étude nous offre l’occasion de montrer les relations qui unissent la vie à la pensée, la pensée à la parole, relations évidentes pour tous les esprits sérieux, mais trop souvent méconnues par la poésie contemporaine, et en particulier par M. Hugo. En insistant sur ces relations, nous sommes sûr d’entourer d’une évidence mathématique ce que nous avons dit plus d’une fois du théâtre de M. Hugo.

Sunt lacrumæ rerum, l’une des pièces les plus étendues de ce recueil, roule tout entière sur la mort de Charles X. Il n’entrera jamais dans notre pensée de blâmer la reconnaissance du poète envers le roi mort dans l’exil. À l’âge de vingt-trois ans, M. Hugo, dont la renommée était encore très modeste, reçut du feu roi une lettre close pour assister aux fêtes de Reims ; il écrivit au retour une ode qui est un de ses meilleurs ouvrages, et le roi, pour le remercier, le décora et lui donna une pension sur sa cassette. Quelques mois plus tard, le ministre de l’intérieur, excité par l’exemple royal, accorda au poète un encouragement de même nature, et désormais il fut permis à M. Hugo d’attendre l’heure de l’inspiration, de laisser mûrir sa pensée. Un tel bienfait mérite assurément un témoignage de gratitude. Ce n’est donc pas le sujet de la pièce que nous blâmons, mais bien le mouvement et la nature des pensées que le poète appelle à son aide, pour exprimer sa reconnaissance. Il reproche aux canons de l’hôtel des Invalides de n’avoir pas sonné le glas aux funérailles de Charles X, il les accuse de partager la lâcheté humaine, et d’adorer tour à tour Henri IV et Louis XI. Ce grief est au moins singulier ; il est difficile de comprendre comment les canons d’un hôtel fondé par Louis XIV ont pu saluer Louis XI et Henri IV, c’est-à-dire deux rois, dont le premier est mort en 1483, et le second en 1610. Si c’est à l’entraînement de la rime qu’il faut attribuer cette impardonnable bévue, si le mot bronze nous a valu Louis onze, les amis de M. Hugo feront bien de l’entretenir souvent de l’esclavage de la rime, dussent-ils même réciter les vers de Nicolas Boileau sur cet important sujet. Si Henri IV et Louis XI signifient, dans la pensée du poète, générosité, duplicité, que ne prenait-il, pour exprimer ces deux idées, Titus et Tibère, dont le sens est consacré depuis long-temps et peut s’appliquer, sans anachronisme, à tous les momens de notre histoire. Avions-nous donc