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LES CENCI.

sera tiré qu’après moi. Mon unique chagrin est de devoir parler, mais ainsi le veut la vérité, contre l’innocence de cette pauvre Béatrix Cenci, adorée et respectée de tous ceux qui l’ont connue, autant que son terrible père était haï et exécré.

Cet homme, qui, l’on ne peut le nier, avait reçu du ciel une sagacité et une bizarrerie étonnantes, fut fils de monsignor Cenci, lequel sous Pie V Ghislieri, s’était élevé au poste de trésorier (ministre des finances). Ce saint pape, tout occupé, comme on sait, de sa juste haine contre l’hérésie, et du rétablissement de son admirable inquisition, n’eut que du mépris pour l’administration temporelle de son état, de façon que ce monsignor Cenci, qui fut trésorier pendant quelques années avant 1572, trouva moyen de laisser à cet homme affreux, qui fut son fils et père de Béatrix, un revenu net de 160,000 piastres (environ 2,500,000 francs de 1837).

François Cenci, outre cette grande fortune, avait une réputation de courage et de prudence à laquelle, dans son jeune temps, aucun autre Romain ne put atteindre ; et cette réputation le mettait d’autant plus en crédit à la cour du pape et parmi tout le peuple, que les actions criminelles que l’on commençait à lui imputer n’étaient que du genre de celles que le monde pardonne facilement. Beaucoup de Romains se rappelaient encore, avec un amer regret, la liberté de penser et d’agir dont on avait joui du temps de Léon X, qui nous fut enlevé en 1513, et sous Paul III, mort en 1549. On commença à parler, sous ce dernier pape, du jeune François Cenci à cause de certains amours singuliers, amenés à bonne réussite par des moyens plus singuliers encore.

Sous Paul III, temps où l’on pouvait encore parler avec une certaine confiance, beaucoup disaient que François Cenci était avide surtout d’évènemens bizarres qui pussent lui donner des peripezie di nuova idea, sensations nouvelles et inquiétantes ; ceux-là s’appuient sur ce qu’on a trouvé dans ses livres de comptes, des articles tels que celui-ci ;

« Pour les aventures et peripezie de Toscanella, 3,500 piastres (environ 60,000 francs de 1837) e non fu taro (et ce ne fut pas trop cher). »

On ne sait peut-être pas, dans les autres villes d’Italie, que notre sort et notre façon d’être à Rome changent selon le caractère du pape régnant. Ainsi, pendant treize années, sous le bon pape Grégoire Buoncompagni, tout était permis à Rome ; qui voulait faisait poignarder son ennemi, et n’était point poursuivi, pour peu qu’il se