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LES VOIX INTÉRIEURES.

s’il est réduit à douter de toutes les promesses, certes il est malheureux, et il a raison de se plaindre.

La versification de cette pièce est d’une souplesse remarquable ; nulle part M. Hugo n’a manié plus habilement les ressources de notre langue. Cette fois comme toujours, il a prodigué les images, mais il a su les gouverner, et la rime obéissante n’a pas dénaturé sa pensée. Les mots se sont rangés fidèlement à la place qu’il leur avait assignée ; pourtant cette pièce n’est pas plus claire que la pièce publiée en 1835 sur le même sujet. Je crois que M. Hugo a dit tout ce qu’il voulait dire, mais qu’avant de parler, il n’avait pas nettement circonscrit ce que sa bouche allait exprimer. Il nous entretient de sa tristesse sans nous l’expliquer ; seul avec lui-même, il remet tout en question ; c’est là, sans doute, une souffrance réelle, mais non inguérissable. Car les hommes se sont partagés la recherche de la vérité, et depuis qu’ils se sont franchement résolu à cette division du travail indéfini de la science, ils ont, Dieu merci, découvert quelque chose. La science possible dépasse de beaucoup la science que nous possédons ; mais si étroite qu’elle soit, elle suffit encore à occuper toute la vie d’un homme, et elle résout un assez grand nombre de questions pour donner souvent à l’esprit la joie de l’évidence. Pour goûter cette joie, il ne faut qu’étudier. La raison n’accepte pas comme un malheur la curiosité qui trouverait à se satisfaire en ouvrant un livre. D’ailleurs, j’ai quelque peine, je l’avoue, à concilier les souffrances que M. Hugo raconte à Mlle L. B., avec le portrait du sage qu’il a tracé dans la même pièce. Cet homme détaché des passions vulgaires, qui n’a plus pour le bruit du monde qu’un dédain sévère et paisible, maître de lui-même et plein de confiance dans l’avenir, peut-il connaître les douleurs que M. Hugo déplore en vers éloquens ? Nous ne le croyons pas.

La pièce à Eugène Hugo, l’un des frères aînés de l’auteur, se divise en trois parties bien distinctes. La première partie est tout entière consacrée à la peinture de l’enfance des deux frères, la seconde au supplice de la gloire, et la troisième à l’éloge de la paix et de la sérénité dont jouissent les morts. Tout ce qui se rapporte à l’enfance des deux frères peut se comparer, pour la grace et l’élégance, aux meilleures pièces des Orientales. Il est impossible de ne pas admirer comme un chef-d’œuvre de fraîcheur et de vérité le tableau de ces deux têtes blondes endormies dans le même berceau, éveillées à la même heure, enivrées des mêmes rêves, courant aux mêmes jeux sous la feuillée, ruisselant de sueur et grondées par leur