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LES CENCI.

Toutes ces choses ne lui suffirent point ; il tenta avec des menaces, et en employant la force, de violer sa propre fille Béatrix, laquelle était déjà grande et belle ; il n’eut pas honte d’aller se placer dans son lit, lui se trouvant dans un état complet de nudité. Il se promenait avec elle dans les salles de son palais, lui étant parfaitement nu ; puis, il la conduisait dans le lit de sa femme, afin qu’à la lueur des lampes, la pauvre Lucrèce pût voir ce qu’il faisait avec Béatrix.

Il donnait à entendre à cette pauvre fille une hérésie effroyable, que j’ose à peine rapporter, à savoir que, lorsqu’un père connaît sa propre fille, les enfans qui naissent sont nécessairement des saints, et que tous les plus grands saints vénérés par l’église sont nés de cette façon, c’est-à-dire que leur grand’père maternel a été leur père.

Lorsque Béatrix résistait à ses exécrables volontés, il l’accablait des coups les plus cruels, de sorte que cette pauvre fille, ne pouvant tenir à une vie si malheureuse, eut l’idée de suivre l’exemple que sa sœur lui avait donné. Elle adressa à notre saint père le pape une supplique fort détaillée ; mais il est à croire que François Cenci avait pris ses précautions, car il ne paraît pas que cette supplique soit jamais parvenue aux mains de sa sainteté ; du moins fut-il impossible de la retrouver à la secrétairerie des Memoriali, lorsque, Béatrix étant en prison, son défenseur eut le plus grand besoin de cette pièce ; elle aurait pu prouver en quelque sorte les excès inouis qui furent commis dans le château de Petrella. N’eût-il pas été évident pour tous que Béatrix Cenci s’était trouvée dans le cas d’une légitime défense ? Ce mémorial parlait aussi au nom de Lucrèce, belle-mère de Béatrix.

François Cenci eut connaissance de cette tentative, et l’on peut juger avec quelle colère il redoubla de mauvais traitemens envers ces deux malheureuses femmes.

La vie leur devint absolument insupportable, et ce fut alors que voyant bien qu’elles n’avaient rien à espérer de la justice du souverain, dont les courtisans étaient gagnés par les riches cadeaux de François, elles eurent l’idée d’en venir au parti extrême qui les a perdues, mais qui pourtant a eu cet avantage de terminer leurs souffrances en ce monde.

Il faut savoir que le célèbre monsignor Guerra allait souvent au palais Cenci ; il était d’une taille élevée et d’ailleurs fort bel homme, et avait reçu ce don spécial de la destinée qu’à quelque chose qu’il voulût s’appliquer, il s’en tirait avec une grace toute particulière. On a supposé qu’il aimait Béatrix et avait le projet de quitter la mantelleta