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litiques, la résistance du peuple en 1812, ainsi que les événemens qui s’en sont suivis. Ajoutons que, par un effet naturel de cette organisation, tous les efforts que fait le gouvernement russe pour combattre et réduire la grande aristocratie ont pour résultat d’augmenter l’influence de la classe moyenne, ou, ce qui est plus vrai, de faire sortir une classe moyenne du sein de cette masse de serfs et d’esclaves de tous rangs qu’on ne redoute pas moins.

Ainsi, la politique de l’empereur Nicolas, qui est, en cela, celle de tous les empereurs depuis Pierre Ier, a été d’attirer la grande noblesse au service, de la retenir loin de ses terres, de lui donner, avec des honneurs, des emplois dispendieux pour diminuer ses richesses, et de lui fournir les moyens d’achever sa ruine, commencée par les dépenses du service militaire et le faste qu’exigent les emplois de cour, en lui prêtant à réméré des capitaux sur ses terres, dont une grande partie doit ainsi nécessairement retomber à la couronne.

Les premiers résultats de ces mesures ont été tels, en effet, qu’on les attendait. Sous l’impératrice Catherine, sous l’empereur Paul Ier, sous son successeur, l’empereur Alexandre, les princes et les seigneurs russes se sont empressés d’abandonner leurs terres, et de venir se livrer, à Saint-Pétersbourg, à toutes les prodigalités. Le goût de dissipation des Russes, en général, ne servit que trop bien la politique du gouvernement. On faisait bâtir un palais somptueux pour donner une fête, on dissipait dix ans de son revenu en uniformes et en chevaux de bataille pour gagner la faveur de l’empereur Paul, on engageait ses terres pour fonder à Saint-Pétersbourg une école de cadets ou une institution philantropique pour plaire à l’empereur Alexandre ; et, dans les premières années du règne de l’empereur Nicolas, on obéissait aux goûts du souverain, n’importe à quel prix. Quelques-uns de ces courtisans rétablirent leur fortune par les faveurs même de la cour ; un plus grand nombre, la presque totalité d’entre eux, fut ruiné.

Il y a quelques années (dix ans au plus), quelques-uns de ces nobles ruinés quittèrent le service, où ils ne pouvaient continuer leur train passé, et se retirèrent dans leurs domaines, pour y faire des économies, et dégager peu à peu leurs terres des mains du gouvernement. C’était au commencement de l’administration du ministre des finances comte de Cancrin, qui s’efforçait de répandre en Russie le goût des entreprises industrielles. Jusqu’alors les nobles s’étaient bornés à vivre du produit de leurs paysans. Quelques-uns,