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à toute heure, et de vivre avec eux dans une sorte d’égalité. D’un autre côté, les serfs, ouvriers ou paysans, se sont adonnés plus que jamais au commerce ; le personnel du corps des marchands a presque doublé depuis dix ans, et chacun faisant ainsi la moitié du chemin, nobles et serfs se sont rapprochés sur le terrain du commerce, transaction qui amènera de grands changemens en Russie, dans peu d’années.

À Saint-Pétersbourg, on comptait, en 1832, un industriel sur quarante-huit habitans ; à Moscou, un sur cinquante-quatre. Le nombre des industriels a quadruplé depuis à Moscou.

Les chiffres suivans prouvent assez combien cette augmentation a été sensible. Dans le courant d’une seule année, on comptait, en 1835 :

Marchands de la première gilde 
695 Plus qu’en 1854 50
deuxième gilde 
1,547  56
troisième gilde 
20.099  1.147
Paysans ayant permission de faire le commerce 
4,992  388
Commis 
7,970  831 [1]

Parmi les nobles devenus marchands et fabricans à Moscou, et qui s’occupent exclusivement de leur négoce, on compte les plus grands noms de la Russie. Le prince Nicolas Troubetskoï fabrique des draps fins ; le prince Bazile Metscherski raffine du sucre ; le prince Nicolas Soltikoff fabrique également des draps ; le général Orloff, des cristaux et du verre, etc.… Tous ces seigneurs sont ou jeunes ou dans la force de l’âge ; ils ont tous quitté le service, et n’ont gardé que des emplois honorifiques et sans fonctions, de gentilshommes de la chambre et de chambellans.

Moscou, cet ancien foyer de l’aristocratie moscovite, est aujourd’hui une ville industrielle comme est Lyon ; mais l’esprit d’opposition à la cour et au service du gouvernement n’y a pas diminué par ce fait : au contraire, il s’est étendu et devra s’étendre chaque jour. Il se modifiera plus encore, et se changera, d’esprit de coterie aristocratique qu’il était, en sentiment des intérêts positifs et en dédain des faveurs du pouvoir, fondé sur ces mêmes intérêts, les plus puissans de tous. Moscou n’en est pas moins une ville fidèle, dévouée à l’empereur, et l’accueil qu’il y reçoit chaque année le prouve suffisamment ; mais ce dévouement tient au caractère particulier de l’em-

  1. De l’état des forces industrielles de la Russie, par V. Peltschinsky. Saint-Pétersbourg, 1831.