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sépare la mer Caspienne de la Mer Noire, où se trouve le pays des Tcherkesses, qui résiste encore. Ce point gagné, la Russie n’aura pas besoin de Constantinople, où règne une grande tolérance commerciale ; elle s’ouvrira de vastes débouchés dans tous les marchés de l’Orient, et son influence près de la Porte ottomane fera le reste. L’Angleterre se trouve, vis-à-vis du gouvernement russe, dans cette singulière situation, de le pousser à la conquête de Constantinople, si, en renouvelant avec succès ses tentatives en faveur des Circassiens de la côte d’Abasie, elle empêchait la prise de possession définitive de cette côte par les Russes, ou de courir de grands risques pour son commerce en Orient, si elle les laisse définitivement s’y établir !

Quant à l’Inde, le gouvernement anglais n’a jamais pensé sérieusement que la Russie voulût l’inquiéter de ce côté. Quand il fut fait mention, dans le parlement anglais, des empiètemens de la Russie dans l’Inde, c’était dans un temps où le cabinet anglais avait besoin de grands crédits pour réparer les fautes du cabinet précédent, et la négligence de l’amirauté, qui avait laissé singulièrement dépérir la marine ; depuis quinze ans, on avait reculé le moment de demander de nouveaux crédits à ce sujet au parlement, et il fallait, à tout prix, en obtenir. Ce fut alors que la presse ministérielle fit sonner bien haut le péril que courait l’Inde du côté de la Russie. On obtint ainsi les fonds nécessaires pour l’augmentation et la réparation de la flotte, et les fonds votés, il ne fut plus question de l’Inde. J’ai rencontré des officiers russes qui ont parcouru, il y a quelques années, la distance qui sépare les dernières provinces russes des frontières de l’Inde. Ils sont encore épouvantés, à cette heure, des difficultés de ce voyage. En Russie, parmi les hommes d’état, on semble désirer que les Anglais fassent des progrès dans l’Inde, et s’avancent jusqu’à la province de Kaboul, où les Russes pourraient leur donner la main, circonstance qui donnerait à la Russie le commerce de transit que seraient obligés de faire par la Russie les Anglais établis dans cette partie de l’Inde, genre de commerce le moins périlleux et le plus régulier de tous. Je rapporte ces vues qui appartiennent à quelques hommes éminens en Russie, sans affirmer qu’elles soient justes, sans garantir qu’elles soient sincères.

Que la Russie cherche ou ne cherche pas à pénétrer dans l’Inde, qu’elle convoite ou qu’elle ne convoite pas la possession de Constantinople, il est certain qu’elle s’occupe activement de se rendre formidable en Orient, et qu’elle se prépare à soutenir avec avantage