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revenir ces deux hommes avec des figures pâles, et comme hors d’eux-mêmes.

— Qu’y a-t-il de nouveau ? s’écrièrent les femmes.

— Que c’est une bassesse et une honte, répondirent-ils, de tuer un pauvre vieillard endormi ! la pitié nous a empêchés d’agir.

En entendant cette excuse, Béatrix fut saisie d’indignation et commença à les injurier, disant :

« Donc, vous autres hommes, bien préparés à une telle action, vous n’avez pas le courage de tuer un homme qui dort[1] ! bien moins encore oseriez-vous le regarder en face s’il était éveillé ! Et c’est pour en finir ainsi que vous osez prendre de l’argent ! Eh bien ! puisque votre lâcheté le veut, moi-même je tuerai mon père ; et, quant à vous autres, vous ne vivrez pas long-temps ! »

Animés par ce peu de paroles fulminantes, et craignant quelque diminution dans le prix convenu, les assassins rentrèrent résolument dans la chambre, et furent suivis par les femmes. L’un d’eux avait un grand clou qu’il posa verticalement sur l’œil du vieillard endormi ; l’autre, qui avait un marteau, lui fit entrer ce clou dans la tête. On fit entrer de même un autre grand clou dans la gorge, de façon que cette pauvre ame, chargée de tant de péchés récens, fut enlevée par les diables ; le corps se débattit, mais en vain.

La chose faite, la jeune fille donna à Olimpio une grosse bourse remplie d’argent : elle donna à Marzio un manteau de drap garni d’un galon d’or, qui avait appartenu à son père, et elle les renvoya.

Les femmes, restées seules, commencèrent par retirer ce grand clou enfoncé dans la tête du cadavre et celui qui était dans le cou ; ensuite, ayant enveloppé le corps dans un drap de lit, elles le traînèrent à travers une longue suite de chambres jusqu’à une galerie qui donnait sur un petit jardin abandonné. De là, elles jetèrent le corps sur un grand sureau qui croissait en ce lieu solitaire. Comme il y avait des lieux à l’extrémité de cette petite galerie, elles espérèrent que, lorsque le lendemain on trouverait le corps du vieillard tombé dans les branches du sureau, on supposerait que le pied lui avait glissé, et qu’il était tombé en allant aux lieux.

La chose arriva précisément comme elles l’avaient prévu. Le matin, lorsqu’on trouva le cadavre, il s’éleva une grande rumeur dans la forteresse ; elles ne manquèrent pas de jeter de grands cris, et de pleurer la mort si malheureuse d’un père et d’un époux. Mais la jeune

  1. Tous ces détails sont prouvés au procès.