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le frappa du plat de son sabre pour le chasser. Cette fois l’enfant s’éloigna en pleurant ; mais, ne pouvant se résoudre à quitter tout-à-fait le champ de bataille, il se tint à quelque distance en arrière de la troupe que commandait son père.

En entendant les coups de fusil, Anderl cependant avait bientôt essuyé ses larmes, et il s’ennuyait fort de rester ainsi les bras croisés, quand il aperçut autour de lui les balles de l’ennemi qui ricochaient dans la poussière. L’idée lui vint d’utiliser son loisir. Ce matin même, mon père se plaignait de la rareté des munitions et du manque de balles, se dit l’enfant ; eh bien ! je vais lui en faire une petite provision. Sur-le-champ, tirant son couteau, Anderl s’avance au fort de la pluie de balles, épiant leur chute, ramassant celles qui tombent mortes à ses pieds, creusant le sol pour extraire celles qui s’enterrent en sifflant. Avant la fin de l’action son chapeau était rempli. Quand Anderl l’offrit à son père victorieux, Speckbaker l’embrassa, et lui promit qu’à l’avenir il lui permettrait de le suivre. — Partout ? s’écria l’enfant avec joie. — Partout ! répondit le père en pleurant.

En effet, le jeune Anderl accompagna désormais son père au combat, et lui fut plus d’une fois utile par l’adresse qu’il mettait à porter les ordres d’un corps à l’autre au plus fort de l’action. Les Bavarois laissaient passer cet enfant espiègle, ne se doutant pas que ce fût là l’aide-de-camp du général ennemi. Speckbaker avait aussi un autre messager qui souvent lui fut d’un grand secours. C’était un gros chien barbet. Lorsque le pays qui séparait Speckbaker des autres chefs était occupé par l’ennemi, l’animal, dressé à ce manège, traversait les lignes bavaroises, portant les dépêches d’un camp à l’autre dans une queue postiche.

Dans ce combat du mont Isel, les Tyroliens, au nombre de vingt mille hommes environ, occupaient toutes les collines qui s’étendent au pied du Brenner de Hall à Inspruck ; ils furent vainqueurs sur toute la ligne, et la perte des Bavarois fut si considérable, que le général Deroy, qui les commandait, fut obligé d’évacuer Inspruck et de se retirer précipitamment par la rive gauche de l’Inn. Tandis qu’André Hofer faisait son entrée dans la capitale du Tyrol à la tête d’une partie de l’armée victorieuse, Speckbaker, sans perdre le temps en vaines parades, poussait l’ennemi sur le bas Inn et le chassait au-delà de Kufstein. Puis il revenait assiéger cette place, qui est la clé du Tyrol de ce côté. Ce siége ne fut pas heureux.

La petite forteresse de Kufstein, que la défense de Pitzenau contre Maximilien, dans le XVe siècle, a rendue fameuse, est bâtie sur un rocher escarpé. Speckbaker tenta de la surprendre par un hardi coup de main ; mais son attaque se fit sans succès : comme il manquait de grosse artillerie, il fut obligé de convertir le siége en blocus. Les habitans de la ville, que commande la forteresse, sont plutôt Bavarois que Tyroliens. Le major Aichner, commandant de la citadelle, entretenait des intelligences avec eux il savait par eux les dispositions des assiégeans, déjouait leurs plans d’atta-