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Ses prévisions n’étaient que trop fondées ; les terribles soldats de Wagram allaient envahir le Tyrol. Attaqué à Melek le 16 octobre, Speckbaker, après des prodiges de valeur, fut obligé de céder au nombre et à la bravoure de ses adversaires. Il perdit deux cents hommes ; son fils Anderl, qui l’accompagnait, fut fait prisonnier ; sa petite armée fut mise en déroute, et lui-même, grièvement blessé, il eut peine à s’échapper.

Toutes les routes qui conduisaient à Inspruck étaient couvertes d’ennemis. Rusca par Trente et Botzen, de Wrède et Deroy par les routes de la Bavière, s’avançaient au cœur du Tyrol, animés tous d’un violent désir de vengeance. Les insurgés se virent contraints une dernière fois d’abandonner la vallée de l’Inn et leur capitale, et de se retirer dans la montagne. Sur ces entrefaites arriva la nouvelle de la paix de Vienne. Les chefs tyroliens comprirent alors l’inutilité de toute résistance, et paraissaient décidés à se soumettre. Hofer lui-même, obéissant aux ordres de l’archiduc Jean, venait, par une proclamation, d’inviter ses compagnons à mettre bas les armes et à rentrer dans leurs foyers, lorsqu’un officier tyrolien du nom de Kolb, soit trahison comme le prétendent aujourd’hui ses compatriotes, soit folie comme on est plutôt porté à le croire, ameuta les paysans qui se séparaient, et publia hautement que l’avis communiqué à Hofer était faux ; que l’Autriche, loin d’abandonner ses enfans les plus chers, allait bientôt les secourir ; qu’il était chargé de le leur annoncer ; que, loin de se soumettre, il fallait tenter un dernier et puissant effort. Les Tyroliens n’étaient que trop portés à regarder comme mensongère la nouvelle de l’abandon de l’Autriche. Ils crurent aux paroles de Kolb, ils reprirent les armes ; cette démarche insensée fut l’arrêt de mort d’une foule de braves. Hofer et les autres chefs du centre du Tyrol s’étaient remis à la tête de leurs redoutables bandes ; ils soutinrent héroïquement une lutte inégale, et, pendant cette dernière et fatale période de l’insurrection, qui comprend la seconde partie du mois de novembre, plus de sang tyrolien fut répandu que pendant tout le reste de la campagne. De braves chefs, comme Pierre Thalguter, succombèrent au champ d’honneur ; d’autres, comme Mayer, furent pris et fusillés. Pierre Mayer avait été saisi les armes à la main ; on lui demande s’il a eu connaissance de la proclamation du prince Eugène ? S’il eût répondu non, il était sauvé. Sourd aux prières de ses amis, il aima mieux dire la vérité, et mourut à l’âge de quarante-cinq ans.

Kolb avait bientôt disparu ; Hofer et son ami Holzknecht, restés seuls, se défendaient comme des lions dans les gorges du Passeyer-Thal. Baraguay-d’Hillers, ennemi généreux, leur offrit la vie sauve, s’ils mettaient bas les armes. Holzknecht céda et retourna dans son village ; Hofer seul s’obstina et aima mieux se cacher que se rendre. Il se réfugia sur le sommet d’une montagne, au milieu des neiges, et fut livré à ses ennemis par le traître Donay ; on sait sa mort héroïque dans les murs de Mantoue. Speckbaker, Haspinger le capucin, Eisenstekken, Sieberer et les autres chefs de l’Inn, mieux informés qu’André Hofer, et ne pouvant douter de l’authenticité du