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de Naples, et placé, lui aussi, dans la prison Savella ; là, on le confronta aux deux femmes qui nièrent tout avec constance, et Béatrix en particulier ne voulut jamais reconnaître le manteau galonné qu’elle avait donné à Marzio. Celui-ci, pénétré d’enthousiasme pour l’admirable beauté et l’éloquence étonnante de la jeune fille répondant au juge, nia tout ce qu’il avait avoué à Naples. On le mit à la question, il n’avoua rien et préféra mourir dans les tourmens ; juste hommage à la beauté de Béatrix !

Après la mort de cet homme, le corps du délit n’étant point prouvé, les juges ne trouvèrent pas qu’il y eût raison suffisante pour mettre à la torture soit les deux fils de Cenci, soit les deux femmes. On les conduisit tous quatre au château Saint-Ange, où ils passèrent plusieurs mois fort tranquillement.

Tout semblait terminé, et personne ne doutait dans Rome que cette jeune fille si belle, si courageuse, et qui avait inspiré un si vif intérêt, ne fût bientôt mise en liberté, lorsque par malheur la justice vint à arrêter le brigand qui à Terni avait tué Olimpio ; conduit à Rome, cet homme avoua tout.

Monsignor Guerra, si étrangement compromis par l’aveu du brigand, fut cité à comparaître sous le moindre délai ; la prison était certaine et probablement la mort. Mais cet homme admirable à qui la destinée avait donné de savoir bien faire toutes choses, parvint à se sauver d’une façon qui tient du miracle. Il passait pour le plus bel homme de la cour du pape, et il était trop connu dans Rome pour pouvoir espérer de se sauver ; d’ailleurs, on faisait bonne garde aux portes, et probablement dès le moment de la citation sa maison avait été surveillée. Il faut savoir qu’il était fort grand, il avait le visage d’une blancheur parfaite, une belle barbe blonde et des cheveux admirables de la même couleur.

Avec une rapidité inconcevable, il gagna un marchand de charbon, prit ses habits, se fit raser la tête et la barbe, se teignit le visage, acheta deux ânes, et se mit à courir les rues de Rome, et à vendre du charbon en boitant. Il prit admirablement un certain air grossier et hébété, et allait criant partout son charbon avec la bouche pleine de pain et d’oignons, tandis que des centaines de sbires le cherchaient non seulement dans Rome, mais encore sur toutes les routes. Enfin quand sa figure fut bien connue de la plupart des sbires, il osa sortir de Rome, chassant toujours devant lui ses deux ânes chargés de charbon. Il rencontra plusieurs troupes de sbires qui n’eurent garde de l’arrêter. Depuis, on n’a jamais reçu de lui