Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
263
JOSEPH SPECKBAKER.

près de là ; si l’on vous refuse, s’il faut renoncer à tout espoir de voir notre cher pays redevenir autrichien, s’il ne vous est plus permis de retourner dans le Tyrol, alors, ô bien-aimé de mon azur ! alors je viendrai vous rejoindre !

« Que je vous remercie donc, cher Joseph, pour votre souhait de nouvel an. Oh ! oui, que Dieu veuille que nous nous retrouvions sous le gouvernement de l’Autriche dans notre cher Tyrol !

« Pour que vous puissiez faire plus aisément comprendre à ceux qui veulent nous servir tout ce que notre position a de misérable, cher époux, je ne dois rien vous cacher. Sachez donc, et je vous dis cela à mon grand chagrin, certaine que je suis de vous affliger ; sachez que nos bestiaux sont tous malades, nous avons déjà perdu le tiers de notre troupeau, et d’un jour à l’autre nous pouvons perdre le reste. J’ai déjà dépensé cinquante florins en médecines et en drogues. C’est, comme vous le pensez, un lourd surcroît à ajouter aux impôts qui nous écrasent. Je vous le répète encore une fois, cher époux, implorez quelque soulagement pour votre femme dans l’abandon, et pour vos malheureux enfans. Je vous dis mille bonnes et douces choses, et je vous recommande bien à Dieu et à la bonté de notre bienveillant empereur ; écrivez-moi bientôt et ne cessez pas d’aimer votre fidèle épouse.

« Marie Speckbakerin.

« P. S. Vos enfans vous embrassent tendrement ; ils prient pour vous avec ferveur. — Notre père ne reviendra-t-il donc jamais ? me demandent-ils souvent. »


À la paix de 1813, le Tyrol ayant été rendu à l’Autriche, Speckbaker retourna dans ses chères montagnes pour y passer le reste de ses jours ; mais les fatigues, les souffrances et les privations avaient altéré sa constitution robuste, et, malgré les soins de sa femme, sa santé ne put jamais se rétablir parfaitement. Vers le commencement de l’année 1820, ses forces commencèrent à décliner sensiblement, et avant la fin de cette même année il rendit le dernier soupir entre les bras de la pauvre Marie, à l’âge de cinquante-deux ans. Joseph Speckbaker fut enterré avec les honneurs dus aux majors, dans la cathédrale de Hall, à la droite de la porte de l’ouest. Une table de marbre noir couvre sa tombe[1].

Si vous parcourez le Tyrol et que vous vous arrêtiez dans la petite ville de Hall, demandez la demeure de Speckbaker. On vous conduira dans l’une des plus modestes habitations de la ville ; là vous serez cordialement accueilli par une femme déjà avancée en âge, à la physionomie grave, douce et tout-à-fait allemande. Cette femme, c’est la veuve de Speckbaker. Trois jolies

  1. L’église de Hall, Saint-Nicolas, érigée sous les Maulstache, renferme aussi le tombeau magnifique du chevalier Baldauf.