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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lequel de M. Laurent ou du poète est le mécanicien. Cette épître à M. Laurent semble avoir été pour Delille le programme qu’il se posa, ou, si c’est trop dire, l’écheveau qu’il tourna et dévida toute sa vie.

Le bannissement des jésuites laissait vacans beaucoup de colléges de France, et le jeune maître de quartier du collége de Beauvais fut appelé comme professeur à celui d’Amiens[1], dans cette patrie de Voiture, où Gresset vivait alors dévot et retiré. Delille dut y visiter ce spirituel poète, de qui il tenait beaucoup plus qu’il ne le soupçonnait. Occupé des Géorgiques de Virgile, il se croyait une muse grave. Il ne savait pas combien il était proche parent de Vert-Vert, et de quel danger mortel les dragées seraient pour son talent. Gresset, qu’on avait essayé dans un temps d’opposer à Voltaire, et dont Jean-Baptiste Rousseau exaltait les débuts, n’avait eu ni assez de force de talent ni assez de pensée pour soutenir la lutte, et il avait été vite jeté de côté. Delille, arrivant comme un autre Gresset, sur les derniers temps de Voltaire, reprit, à quelques égards, le rôle manqué par le premier, et avec du brillant, du mondain à force, rien du collége, mais peu de philosophie et de pensée, il réussit à succéder en poésie au trône, encore imposant, qui devint aussitôt par lui un tabouret chez la reine.

En attendant, il succédait, au collége d’Amiens, à ces jésuites dont il allait introduire en français les procédés de vers latins et tant de descriptions didactiques ingénieuses. Rapin, Vanière, par les sujets comme par la manière, semblent avoir été ses maîtres ; il y a du père Sautel dans Delille.

Un discours sur l’Éducation, prononcé par Delille, en 1766, à une distribution de prix du collége d’Amiens, marquerait, au besoin, combien peu d’idées la prose fournissait à l’élégant diseur dans un sujet déjà fécondé par l’Émile. Les autres rares morceaux de prose qu’on a de l’abbé Delille, depuis son éloge de La Condamine, lors de sa réception à l’Académie, jusqu’à son article La Bruyère dans la Biographie universelle, ne démentent pas cette observation ; agréables de tour et de récits anecdotiques, ils sont très clairsemés d’idées. Son morceau le plus capital, la préface des Géorgiques, est même, en grande partie, traduite de Dryden, que Delille combat en un endroit, sans dire jusqu’à quel point il en profite[2].

  1. On est déjà si loin de l’ancienne Université, qu’il n’est pas inutile de rappeler que les colléges de Lisieux et de Beauvais étaient à Paris, tandis que le collége d’Amiens était bien dans cette ville même.
  2. Cette remarque est de M. Joseph-Victor Leclerc.