geuses. Il quitta sa tonsure et mit des sabots. Cette époque de sa vie est assez obscure, et l’esprit de parti qui s’en est mêlé plus tard n’a pas aidé à l’éclaircir. Les royalistes ont exalté son courage, d’avoir ainsi bravé, par sa présence, les tyrans et les bourreaux ; l’honnête M. Amar l’a comparé à Vernet se faisant attacher au mât du navire dans l’orage, pour être jusqu’au bout témoin de ce qu’il aurait à peindre. On a cité son Dithyrambe, qui lui avait été demandé pour la fête de l’Être-Suprême, et dont plusieurs vers étaient la satire des oppresseurs. M. Tissot a judicieusement, selon moi, discuté ce point, et rabattu des exagérations qu’on en a faites après coup. Ce qu’il y a de certain, c’est que Chaumette protégea Delille ; ce qui le protégeait surtout, c’était son humeur, sa gloire chère à tous dès le collége, son air enfant, son gentil caractère ; souris qui joue dans l’antre du lion ; épagneul que la griffe terrible épargne. Jamais un poète capable de porter ombrage, et suspect de sonner la trompette d’alarme, n’aurait ainsi échappé : André Chénier mérita de mourir. Les serins chantent dans les cages, a dit l’autre Chénier de Delille ; du moins, ce serin charmant, qu’on trouva dans le palais fumant du sang des maîtres, et qu’on aurait voulu faire chanter, le serin, disons le à son honneur, fut triste et ne chanta pas.
Delille ne quitta Paris qu’après le 9 thermidor, c’est-à-dire au moment où c’était plutôt le cas de rester ; et une fois parti, il ne parut occupé que de rentrer le plus tard possible et à son corps défendant, comme s’il eût boudé contre son cœur. Cette bizarrerie est restée inexpliquée. On a dit plaisamment qu’une faute de français, un cuir d’un membre du comité de salut public qu’il rencontra, le fit s’écrier : « Décidément on ne peut plus habiter ce pays-ci. » On a raconté non moins plaisamment[1], que l’abbé de Cournand, alors son ami, et qui depuis crut lui jouer un mauvais tour en retraduisant les Géorgiques, étant de garde aux Tuileries, reconnut le poète qui se promenait malgré sa mise en arrestation au logis, qu’il fit mine de le vouloir reconduire chez lui au nom de la loi, et que depuis lors Delille avait peur de la garde-nationale et de l’abbé de Cournand. Delille était encore à la rentrée publique du Collége de France, le 1er frimaire an iii, et y récitait des vers. Le 15 ventôse, sa présence était accueillie aux Écoles normales avec des applaudissemens réitérés. On a pensé que la préférence accordée au poète Le Blanc pour les récompenses nationales (17 floréal an iii) l’aurait
- ↑ M. Michaud, en tête du recueil des Poésies de Delille, 1801.