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sissait chaque jour à distance. L’Institut national lui faisait écrire pour le prier de rentrer en son sein, et ce ne fut qu’après trois ans d’un silence par trop boudeur, qu’on le remplaça dans la section de poésie. Enfin, de Londres, où il venait de traduire en dix-huit mois le Paradis perdu, il laissa échapper une seconde édition, très augmentée, du poème des Jardins, et l’Homme des Champs (1800), dont l’impression était retardée depuis trois ans.

On publia, vers ce temps, un recueil de ses poésies diverses et fragmens, auquel M. Michaud ajouta une notice biographique, car on était avide des moindres détails. Les extraits de Fontanes au Mercure, et de Ginguené à la Décade, sur l’Homme des Champs, étaient insérés dans le volume ; on tâchait d’y réfuter les critiques, d’ailleurs fort modérées et respectueuses, de Ginguené[1]. Bref, Delille entrait vivant dans la gloire incontestée, et prenait rang parmi ceux qui règnent.

Cette monarchie, bien suffisamment légitime, où il allait s’asseoir, ne se déclarait pas moins par certaines attaques démesurées et désespérées, et qui étaient en petit comme les conspirations républicaines de même date contre Bonaparte. En regard du trophée poétique que lui dressaient ses amis, il parut une brochure intitulée : Observations classiques et littéraires sur les Géorgiques françaises, par un Professeur de belles-lettres (an ix). Il y était dit : « Comment se flatter de ramener l’opinion sur un ouvrage qui, même avant la publicité, était dévoué à l’apothéose. » On y supputait que, dans un ouvrage de 2,642 vers, il se trouvait :

643 répétitions,
558 antithèses,
498 vers symétriques,
294 vers surchargés,
164 vers léonins ;
Total : 2,157

En tête du volume se voyait une caricature d’après le dessin d’un élève de David. Le poète, en costume d’abbé, tournait le dos à la Nature et dirigeait ses pas et sa lorgnette vers le temple du mauvais Goût. Des farfadets lui présentaient des hochets et des guirlandes. Sa

  1. Je trouve dans l’extrait de Ginguené que l’homme d’esprit réfuté aux premières lignes de la préface de l’Homme des Champs, M. de M., est Sénac de Meilhan ; ce qui me paraît plus vraisemblable que M. de Mestre, qu’on lit dans beaucoup d’éditions subséquentes de Delille.