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règle que son bon plaisir. Sa mère, qui la connaissait et savait l’aimer, avait exigé pour elle cette liberté dans laquelle il y avait quelque compensation au manque de direction ; car un goût naturel de l’étude et l’ardeur de l’intelligence sont les meilleurs maîtres pour les esprits bien nés. Il entrait autant de sérieux que de gaieté dans celui d’Emmeline ; mais son âge rendait cette dernière qualité plus saillante. Avec beaucoup de penchant à la réflexion, elle coupait court aux plus graves méditations par une plaisanterie, et dès-lors n’envisageait plus que le côté comique de son sujet. On l’entendait rire aux éclats toute seule, et il lui arrivait, au couvent, de réveiller sa voisine au milieu de la nuit, par sa gaieté bruyante.

Son imagination très flexible paraissait susceptible d’une teinte d’enthousiasme ; elle passait ses journées à dessiner ou à écrire ; si un air de son goût lui venait en tête, elle quittait tout aussitôt pour se mettre au piano, et se jouer cent fois l’air favori dans tous les tons ; elle était discrète et nullement confiante, n’avait point d’épanchement d’amitié, une sorte de pudeur s’opposant en elle à l’expression parlée de ses sentimens. Elle aimait à résoudre d’elle-même les petits problèmes qui, dans ce monde, s’offrent à chaque pas ; elle se donnait ainsi des plaisirs assez étranges que, certes, les gens qui l’entouraient ne soupçonnaient pas. Mais sa curiosité avait toujours pour bornes un certain respect d’elle-même ; en voici un exemple, entre autres.

Elle étudiait toute la journée dans une salle où se trouvait une grande bibliothèque vitrée, contenant trois mille volumes environ. La clé était à la serrure, mais Emmeline avait promis de ne point y toucher. Elle garda toujours scrupuleusement sa promesse, et il y avait mérite dans cette conduite, car elle avait la rage de tout apprendre. Ce qui n’était pas défendu, c’était de dévorer les livres des yeux ; aussi en savait-elle tous les titres par cœur ; elle parcourait successivement tous les rayons, et pour atteindre les plus élevés, plantait une chaise sur la table ; les yeux fermés, elle eût mis la main sur le volume qu’on lui aurait demandé. Elle affectionnait les auteurs par les titres de leurs ouvrages, et de cette façon elle a eu de terribles mécomptes. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Dans cette salle était une petite table près d’une grande croisée qui dominait une cour assez sombre. L’exclamation d’un ami de sa mère fit apercevoir Emmeline de la tristesse de sa chambre ; elle n’avait jamais ressenti l’influence des objets extérieurs sur son humeur. Les gens qui attachent de l’importance à ce qui compose le