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tant ses transports de joie parurent vifs. Elle criait, s’élançait de la calèche ; il fallait qu’elle allât plonger son petit visage dans les sources qui s’échappaient des roches. Elle voulait gravir des pics, ou descendre jusqu’aux torrens dans les précipices ; elle ramassait des pierres, arrachait la mousse. Entrée un jour dans un chalet, elle n’en voulait plus sortir ; il fallut presque l’enlever de force, et, lorsqu’elle fut remontée en voiture, elle cria en pleurant aux paysans : « Ah ! mes amis, vous me laissez partir ! »

Nulle trace de coquetterie n’avait encore paru en elle lorsqu’elle entra dans le monde. Est-ce un mal de se trouver lancée dans la vie sans grande maxime en portefeuille ? Je ne sais. D’autre part, n’arrive-t-il pas souvent de tomber dans un danger en voulant l’éviter ? Témoins ces pauvres personnes auxquelles on a fait de si terribles peintures de l’amour, qu’elles entrent dans un salon, les cordes du cœur tendues par la crainte, et qu’au plus léger soupir elles résonnent comme des harpes. Quant à l’amour, Emmeline était encore fort ignorante sur ce sujet. Elle avait lu quelques romans où elle avait choisi une collection de ce qu’elle nommait des niaiseries sentimentales, chapitre qu’elle traitait volontiers d’une façon divertissante. Elle s’était promis de vivre uniquement en spectateur. Sans nul souci de sa tournure, de sa figure, ni de son esprit, devait-elle aller au bal, elle posait sur sa tête une fleur, sans s’inquiéter de l’effet de sa coiffure, endossait une robe de gaze comme un costume de chasse, et, sans se mirer les trois quarts du temps, partait joyeuse.

Vous sentez qu’avec sa fortune (car du vivant de sa mère sa dot était considérable) on lui proposait tous les jours des partis. Elle n’en refusait aucun sans examen ; mais ces examens successifs n’étaient pour elle que l’occasion d’une galerie de caricatures. Elle toisait les gens de la tête aux pieds avec plus d’assurance qu’on n’en a ordinairement à son âge ; puis, le soir, enfermée avec ses bonnes amies, elle leur donnait une représentation de l’entrevue du matin ; son talent naturel pour l’imitation rendait cette scène d’un comique achevé. Celui-là avait l’air embarrassé, celui-ci était fat ; l’un parlait du nez, l’autre saluait de travers. Tenant à la main le chapeau de son oncle, elle entrait, s’asseyait, causait de la pluie et du beau temps comme à une première visite, en venait peu à peu à effleurer la question matrimoniale, et, quittant brusquement son rôle, éclatait de rire ; réponse décisive qu’on pouvait porter à ses prétendans.

Un jour arriva cependant où elle se trouva devant son miroir, arrangeant ses fleurs avec un peu plus d’art que de coutume. Elle