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aussi dangereux que les liaisons dont parle son titre, que se trouve une remarque dont on ne connaît pas assez la profondeur : « Rien ne corrompt plus vite une jeune femme, y est-il dit, que de croire corrompus ceux qu’elle doit respecter. » Les propos de Mme d’Ennery éveillaient dans l’ame de sa nièce un sentiment d’une autre nature. — Qui suis-je donc, se disait-elle, si le monde est ainsi ? La pensée de son mari absent la tourmentait ; elle aurait voulu le trouver près d’elle lorsqu’elle rêvait au coin du feu ; elle eût du moins pu le consulter, lui demander la vérité ; il devait la savoir, puisqu’il était homme, et elle sentait que la vérité dite par cette bouche ne pouvait pas être à craindre.

Elle prit le parti d’écrire à M. de Marsan, et de se plaindre de sa tante. Sa lettre était faite et cachetée, et elle se disposait à l’envoyer, quand, par une bizarrerie de son caractère, elle la jeta au feu en riant. — Je suis bien sotte de m’inquiéter, se dit-elle avec sa gaieté habituelle ; ne voilà-t-il pas un beau monsieur pour me faire peur avec ses yeux doux ! — M. de Sorgues entrait au moment même. Apparemment que, pendant sa route, il avait pris des résolutions extrêmes ; le fait est qu’il ferma brusquement la porte, et, s’approchant d’Emmeline sans lui dire un mot, il la saisit et l’embrassa.

Elle resta muette d’étonnement, et, pour toute réponse, tira sa sonnette. M. de Sorgues, en sa qualité d’homme à bonnes fortunes, comprit aussitôt et se sauva. Il écrivit le soir même une grande lettre à la comtesse, et on ne le revit plus au Moulin de May.

iii.

Emmeline ne parla de son aventure à personne. Elle n’y vit qu’une leçon pour elle, et un sujet de réflexion. Son humeur n’en fut pas altérée ; seulement, quand Mme d’Ennery, selon sa coutume, l’embrassait le soir avant de se retirer, un léger frisson faisait pâlir la comtesse.

Bien loin de se plaindre de sa tante, comme elle l’avait d’abord résolu, elle ne chercha qu’à se rapprocher d’elle et à la faire parler davantage. La pensée du danger étant écartée par le départ de l’adorateur, il n’était resté dans la tête de la comtesse qu’une curiosité insatiable. La marquise avait eu, dans la force du terme, ce qu’on appelle une jeunesse orageuse ; en avouant le tiers de la vérité, elle était déjà très divertissante, et avec sa nièce, après dîner, elle en avouait quelquefois la moitié. Il est vrai que tous les matins