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hymne au Créateur des mondes ! Reléguée au fond de la Moldavie, elle ne regrettait ni la capitale, ni son luxe et ses plaisirs ; elle s’asseyait sous la tente du pâtre vagabond, et, oublieuse de la langue divine qu’elle avait seule parlée jusqu’alors, elle répétait les sauvages et mélancoliques accens des fils du désert. »

Cet exil, qui, l’arrachant pour un temps du moins à un monde corrompu, le jeta dans les bras de la solitude et de la nature, époque de regrets et de souffrances, mais aussi de travail, de recueillement, de méditations, dura jusqu’à l’avénement au trône de l’empereur Nicolas. Rappelé à Pétersbourg et fort d’une grace qu’il avait obtenue sans la solliciter, Pouchkin reparaît alors avec un nouvel éclat sur le théâtre de ses exploits, et se signale par de nouvelles témérités que cachent à peine les larges plis de son manteau de poète ; il fait tout haut profession d’athéisme, il joue, il se bat en duel le plus souvent qu’il peut, et ces graves occupations, qui paraissent absorber tous ses instans, ne l’empêchent pas de produire, en quelques années, de nombreuses poésies détachées et quelques œuvres de plus longue haleine, qui le placent au premier rang parmi les écrivains de sa patrie.

Enfin, las apparemment de cette existence de don Juan, il se marie, et, soit que l’âge et la satiété eussent amorti le feu de ses passions, soit qu’il cédât à l’influence irrésistible qu’exercent la religion et la vertu, quand elles ont pour interprète une femme jeune, belle et aimée, on le vit renoncer aux plaisirs désordonnés ; il parut comprendre les joies du foyer domestique qu’il avait si long-temps tournées en dérision ; ce ne fut plus par bonds capricieux, ce fut avec une ardeur soutenue, réfléchie, qu’il se livra désormais à l’étude et à la composition. Il travaillait à un grand ouvrage sur Pierre Ier, lorsque, offensé par son beau-frère, le baron d’Anthès, dans ce que l’homme a de plus sacré, l’honneur de la femme qui lui est chère, il provoque le véritable agresseur. Sa cause était juste, mais, comme si le ciel eût voulu le punir d’avoir tant de fois hasardé ses jours et menacé ceux des autres pour de misérables querelles d’amour-propre, il ne lui fut pas donné de venger la seule atteinte réelle qu’on eût jamais portée à son honneur et à ses affections. Blessé mortellement par son adversaire, il expira au bout de quelques jours, en homme repentant, dit-on, des fautes de sa vie passée, ou plutôt en poète qui, sans crainte, sans murmure, exhale en souriant son ame et son génie.

Telle fut en résumé l’existence de Pouchkin ; et maintenant que