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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

chrétienne sur le farouche musulman toute la supériorité de nos lumières, de nos croyances, de notre civilisation. Malheureusement Pouchkin n’a pas creusé son idée, approfondi son sujet : il s’est contenté, suivant son usage, de quelques scènes à peine indiquées, de quelques caractères à peine ébauchés, et, sitôt que l’inspiration lui a manqué, que sa verve s’est refroidie, il a déposé la plume et clos son œuvre sans s’inquiéter de savoir si elle était réellement terminée.

Le Prisonnier du Caucase n’a de commun que son titre avec la nouvelle de M. le comte Xavier de Maistre. Un jeune Russe est tombé dans les mains des Tcherkesses ; ils ont laissé la vie à leur captif dans l’espoir d’une riche rançon, qu’il pourra bien leur faire long-temps attendre, car, dégoûté du monde, mort à toutes ses joies, poursuivi par une passion fatale, l’esclavage lui est presque indifférent ; mais une jeune fille se prend d’amour pour le pauvre prisonnier. Malade, elle le soigne ; triste et malheureux, elle le distrait par ses chansons ; insensible à sa tendresse, elle ne s’attache à lui qu’avec plus de force et de dévouement. Un jour que tous les guerriers de la peuplade sont partis pour une expédition lointaine, elle brise ses fers ; le Russe s’éloigne presque à regret. Tout à coup, il entend derrière lui l’onde s’agiter ; il se retourne, et ne voit plus qu’un vêtement qui flotte à la surface ; c’est tout ce qui reste de la jeune fille. Ce poème, fort court, et dont le fond, comme on voit, est assez insignifiant, a le tort de placer les deux acteurs du petit drame que nous venons d’analyser, dans une position sans issue, dans une situation d’ame qui est toujours la même : l’apathie du Russe est sans remède, la passion de la jeune fille est sans espoir, en sorte que nous désirons à peine la délivrance de l’un, et que la mort de l’autre, n’étant pas la conclusion nécessaire d’un amour calme et silencieux comme le sien, nous surprend sans nous affliger. Ce défaut capital à nos yeux, puisqu’il enlève tout intérêt au récit principal, est racheté par quelques détails poétiques sur les mœurs des habitans du Caucase. Simples dans leurs habitudes, hospitaliers envers l’étranger, implacables envers leurs ennemis, ces montagnards n’ont d’autres parures que leur poignard, leur carabine et leur yatagan, d’autre ami que leur cheval, d’autre plaisir que la guerre, d’autre fortune que la dépouille du vaincu. Chez eux, l’audace n’exclut pas la ruse ; s’ils ne craignent pas de se précipiter en aveugles sur un rempart de baïonnettes, ils savent aussi se mettre en embuscade derrière un arbre, un rocher, et là, comme un tigre qui guette sa proie, attendre patiemment, pendant des jours entiers, le passage d’un soldat ou d’un cavalier ennemi,