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POLITIQUE D’ARISTOTE.

échauffaient les esprits. Les chefs des deux factions qui partageaient les villes, les uns sous le prétexte spécieux de l’égalité politique du peuple, les autres sous celui d’une aristocratie modérée, affectaient de ne consulter que le bien de la patrie, mais, au fond, travaillaient à se supplanter mutuellement, et ne songeaient qu’à eux. Dans leur lutte, il n’était pas d’excès que ne se permît leur audace… Aucun des partis n’obéissait plus à la justice ; mais on louait ceux qui, par leur éloquence, obtenaient quelque résultat envié. Les citoyens modérés périssaient victimes des deux factions, soit parce qu’ils n’en partageaient pas les périls, soit par la jalousie qu’on leur portait d’y avoir échappé. La bonne foi, ce partage des ames généreuses, fut un objet de risée, et disparut. On se rangeait en bataille les uns contre les autres avec une égale défiance. On ne pouvait croire, pour en venir à une réconciliation, ni à la parole la plus solennelle, ni aux plus terribles sermens. Dominés par la pensée qu’on ne pouvait rien espérer de stable, les citoyens s’occupaient surtout à se mettre à l’abri du mal. Ordinairement, ceux qui avaient le moins de capacité l’emportaient sur les autres. En effet, craignant que, par leur propre infériorité et la finesse de leurs ennemis, ils ne fussent vaincus en éloquence et en habileté, ils marchaient audacieusement au but, tandis que ceux-ci, dédaignant de pressentir le danger, et se flattant de triompher, non par des voies de fait, mais par le talent, succombaient en plus grand nombre.

Voilà pour l’état politique. Quant aux esprits, ils étaient, à la fin de la guerre du Péloponèse, sans frein comme sans nourriture. Ce n’était plus le temps de la publication des poèmes d’Homère, des luttes contre le Perse, des émotions patriotiques, où la religion se confondait avec la défense de l’indépendance. Les fantaisies du polythéisme n’enflammaient plus les esprits pour la gloire, mais pour la volupté ; la liberté était flétrie, la religion stérile, corrompue et corruptrice. C’est alors que se mit à discourir dans Athènes le fils d’un sculpteur et d’une sage-femme, répétant souvent qu’il n’y avait de bon que la science et de mauvais que l’ignorance. Voilà, pour la première fois, la science descendant sur la place publique, dans les rues, venant heurter à la porte de chaque citoyen, poursuivant les hommes pour leur demander s’ils s’entendent eux-mêmes et s’ils savent quelque chose. L’homme qu’elle anime est simple, hardi, familier, subtil, spirituel, parfois cynique. Il s’attaquera aux plus illustres citoyens, et les réduira, à travers la confusion et le désespoir, à l’aveu qu’ils ne savent rien. On le bat, on lui arrache les cheveux,