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pour les prochaines élections, et les petites intrigues qu’ils préparent dans certaines localités. Nous aurons soin de les signaler, quand il y aura lieu.

Nous croyons savoir que l’espèce de congrès qui s’est tenu à Tœplitz, entre M. de Werther, M. de Metternich, le prince Paskewitch et M. de Tatischeff, s’est séparé comme d’ordinaire, sans avoir rien conclu. Nous disons congrès, par habitude, car en vérité ce n’en était pas un, et cette réunion d’hommes d’état ne prétendait pas à ce caractère officiel. Ç’a été plutôt une causerie politique, dont les circonstances du moment présent et les éventualités de l’avenir ont fait les frais. On y a parlé Hanovre, don Carlos, élections anglaises, mariage de M. le duc d’Orléans, revue de Wosnesensk, mais de tout cela, simplement en observateurs bien informés et presque avec désintéressement. Ah ! si l’on y avait appris, entre deux verres d’eau, que don Carlos avait battu l’armée de la reine, ou qu’il marchait sur Madrid, la conversation aurait pris tout de suite une autre tournure. Les impatiens auraient voulu le reconnaître au plus vite ; de plus sages auraient encore voulu voir, auraient demandé quelque délai, auraient désiré de plus amples informations, et peut-être se serait-on séparé sans avoir rien décidé, mécontens les uns des autres, ce qui est arrivé bien souvent depuis quelques années, malgré toute cette camaraderie de revues et de bains de Bohême.

Car après tout, les liens qui ont si long-temps uni les trois grandes puissances de l’Europe orientale, sont aujourd’hui très relâchés. La Russie ne sait plus à quoi s’en tenir sur le compte de la Prusse, et c’est à peine si elle est contente de l’Autriche. L’empereur Nicolas est fort inquiet, dit-on, de l’attitude actuelle du cabinet de Berlin, qui s’est laissé entraîner, presque à son insu, au sentiment de répulsion que les manœuvres du camp de Kalish n’ont fait que trop éclater dans l’armée prussienne contre l’armée russe. Les deux cabinets se font maintenant une petite guerre sourde, à coups de tarifs de douanes ; la cour de Prusse donne la princesse de Mecklembourg en mariage à l’héritier présomptif du trône de France ; et elle écarte poliment toutes les insinuations de la Russie pour renouveler sur le sol allemand la prétendue fraternisation des deux armées. On voit bien que la sainte-alliance n’existe plus, et qu’elle est devenue un mot historique sans application et sans valeur. M. de Metternich lui-même paraît de temps en temps un peu froid avec la Russie. L’extension de cette puissance du côté du Danube le gêne, et, quel que soit son optimisme, il se prend à lui trouver les bras bien longs ; car elle est partout autour de lui, au nord, au midi, à l’embouchure de son grand fleuve, et on peut être sûr que les pires nouvelles de Circassie sont pour lui les meilleures.

Eh bien ! il en a encore pour long-temps ; les affaires des Russes n’avancent guère sur la côte orientale de la mer Noire, et tout ce que les journaux anglais en ont publié est plutôt en-deçà qu’au-delà de la vérité. Depuis Anapa jusqu’à la forteresse de Gagra, qui sépare la Circassie proprement dite de l’Abasie, les Russes n’ont encore réussi qu’à établir un certain nombre de petits forts, dont les garnisons, à cinq ou six lieues de distance, ne peuvent communiquer entre elles, ne reçoivent d’approvisionnemens et de secours que par la mer, et sont continuellement attaquées, de nuit et de jour, par des milliers de Tscherkesses. Ces braves montagnards, sans canons et quelquefois sans fusils, se jettent sur les retranchemens des Russes comme des lions sur les barreaux de leur cage, détruisent ce qu’ils peuvent,