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ment émus, semblent quêter du regard l’émotion et l’enthousiasme. La piquante variété des lectures, un commerce de louanges où chacun trouve son compte, l’hommage rendu à de nobles et touchantes actions, tout enfin, dans ces solennités, détermine un épanouissement auquel on ne saurait résister sans mauvaise grace. Si pourtant, revenu à la froide raison, après les entraînemens de la sensibilité, on se demandait quelle est la fonction présente de l’Académie, quelles peuvent être l’utilité de ses concours et la règle de ses jugemens, la question ainsi posée deviendrait embarrassante. En couronnant les écrits utiles aux mœurs, l’Académie n’a sans doute pas la prétention de prononcer dogmatiquement sur la moralité des compositions qu’on lui adresse : il n’y a pas de mesure absolue pour apprécier la valeur d’une œuvre d’éducation.

On n’en peut juger que par rapport à une doctrine sociale hautement professée. Or, il n’est ni possible, ni tolérable peut-être, qu’un corps comme l’Institut émette une déclaration de principes. Ce serait déplacer le pouvoir en sa faveur, et accorder aux lettrés de profession une véritable dictature. Aujourd’hui d’ailleurs, ce sont moins les intentions louables et les théories qui manquent, que le talent de les rendre persuasives. Selon nous, l’Académie ne saurait rendre un plus grand service que de remettre en honneur les traditions, trop dédaignées, du beau langage, d’exiger, avant tout, la sévérité d’expression et ces nobles formes de style, qui, suivant le mot de Montaigne, tiennent moins au bien dire qu’au bien penser. Distinguer, dans la foule des livres qu’on publie, ceux qui présentent ces marques de puissance, ou bien, dans les années stériles, dénoncer hautement la mauvaise direction des esprits, ce serait être vraiment utile aux mœurs, ou, si l’on veut, à la civilisation dont une langue riche et belle est l’indispensable instrument. Disons ouvertement ce que tout le monde a pensé : les ouvrages couronnés cette année ne se recommandent pas par l’élévation du sentiment littéraire, et l’obligation de faire accepter au public les décisions d’une indolente majorité a dû paraître fort pénible à M. le secrétaire perpétuel.

Heureusement pour l’Académie, M. Villemain possède toutes les ressources d’un talent qu’on n’a jamais songé à contester, et qui ne se dément jamais. Son rapport par lequel la séance fut ouverte, était de nature à disposer favorablement l’auditoire. On a suivi, avec une satisfaction marquée, ce tour d’esprit varié et facile, cette expression qui, suivant les exigences du sujet, prend ou rejette le voile avec une si gracieuse coquetterie. On se plaisait à surprendre l’habile écrivain aux prises avec les difficultés de sa tâche : on voulait savoir par quels artifices de style il trouverait moyen de louer des productions assez ternes, sans chagriner les personnes d’un goût sévère, et sans compromettre l’autorité de son propre sentiment. M. Villemain a très finement annoncé ce qu’on devait attendre de l’ardeur inexpérimentée du jeune poète couronné, M. Évariste Boulay-Paty : ayant à caractériser une pièce injouable, il a fait des vœux pour que l’auteur composât à l’avenir d’autres pièces qui fussent jouées ; enfin, il a rappelé un sourire complaisant de Cuvier pour excuser cette sorte d’adhésion donnée publiquement à la philosophie avortée de M. Azaïs. Ajoutons, pour être justes, qu’en parlant d’un livre qui a du moins pour lui le mérite de l’utilité, l’Essai sur l’état physique et moral des aveugles-nés, par M. Dufau, le rapporteur s’est exprimé de telle façon, qu’on n’a pas songé cette fois à rabattre de ses éloges.