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conseille un meilleur expédient. Que Laure, qui se plaît aux longues promenades, laisse un soir sa mante au bord de la Sorgue. Tandis qu’on la croira noyée, elle pourra fuir vers Paris et y cacher sa vie qu’elle doit à son enfant.

Les années ont couru. Nous retrouvons Laure de Novès dans une petite maison de Saint-Germain, qu’elle habite avec sa fille Christine. Julio de Mazzara les visite quelquefois en secret. Souverain pouvoir de l’amour et de la maternité ! cette Laure, si outragée et si fière, a pardonné au père de son enfant. Elle se résigne à n’être que la maîtresse de son séducteur. Mais elle voudrait au moins sa tendresse entière ; elle voudrait percer les mystères dont il s’enveloppe. Un hasard cruel les découvre tous à la malheureuse. Croyant Laure à Paris, Julio de Mazzara a introduit une autre femme dans la petite maison de Saint-Germain. Laure, cachée dans un cabinet, surprend leur entretien et les suit de l’œil. Tout est révélé. Mazzara, c’est le cardinal Mazarin ! cette femme, c’est la reine Anne d’Autriche, dont il est l’amant ! La détermination de Laure de Novès est prompte et irrévocable. Elle court s’enfermer à Paris dans le couvent des Carmélites, d’où elle ne sortira plus.

Ici finit la première histoire et commence la seconde, moins animée, moins dramatique, mais plus touchante peut-être. Christine, laissée seule au milieu du monde, a failli succomber aux mêmes périls qui ont précipité sa mère. Elle a cru naïvement à l’amour de Philippe de Mancini, qui a feint de s’éprendre d’elle. Il a poussé ses tentatives jusqu’à l’enlèvement. Christine est en son pouvoir ; elle paraît perdue. Mais ce n’est pas un écrivain habile comme Mme Reybaud qui eût souffert qu’il s’accomplît dans son roman deux séductions : non bis in idem. Christine s’arrête au bord de l’abîme où est tombée Laure de Novès. Sa résistance intimide le séducteur. Elle se réfugie aux Carmélites, et conte à sa mère son danger. Philippe de Mancini était neveu de Mazarin. Quel autre mieux que le père de Christine la pourra sauver en ces conjonctures ? Laure de Novès écrit au cardinal une lettre que Christine porte elle-même à Saint-Germain. Ce recours a l’effet qu’il devait avoir. Christine, prise sous la toute puissante protection de Mazarin, est désormais à l’abri des poursuites de Philippe de Mancini. Comme elle n’a pas les mêmes raisons que sa mère de se faire carmélite, et qu’elle ne se sent nulle vocation, elle épouse raisonnablement un jeune bourgeois nommé Rabanel, qu’elle aimera plus tard de tout son cœur.

S’il faut reprocher au Château de Saint-Germain sa double action, il est juste de reconnaître que l’une et l’autre sont fort habilement reliées entre elles par le personnage principal auquel un fil continu les rattache du commencement du livre jusqu’à la conclusion. Mme Reybaud devait naturellement concentrer toute sa force dans la peinture de ce caractère dominant. C’est un excellent portrait qu’elle en a donné, finement touché, très sûrement et très largement dessiné. Peut-être seulement, vers la fin du drame, Mazarin est-il montré plus noble, plus aimable, plus généreux qu’il n’a jamais été. « Il avait de l’esprit, de l’insinuation, des manières, dit de lui le cardinal de Retz, mais le vilain cœur paraissait toujours. » Le temps n’a pas cassé cet arrêt, bien que le coadjuteur fût fort récusable vis-à-vis de Mazarin.

Tout l’ouvrage est écrit d’un bon style, simple, élégant, ferme et poli. Plusieurs débuts de chapitres d’où l’auteur promène le regard sur ses paysages