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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/522

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REVUE DES DEUX MONDES.

vii.

Quelque grossiers que fussent les artifices de Vincent Bianchini, l’esprit d’observation dont l’avait doué la nature, et la parfaite connaissance qu’il avait des faiblesses et des travers d’autrui, le servaient mieux que la supériorité des autres. Il avait un profond et irrévocable mépris pour l’espèce humaine. Niant la conscience, il détestait tous ses semblables ; il ne reculait devant aucun moyen de corruption, et ne faisait jamais entrer en ligne de compte la possibilité des bons mouvemens. Ses noires prévisions se trouvaient presque toujours justifiées ; mais il est vrai de dire que, comme le vent d’orage ne brise que les arbres où la sève commence à tarir et dont la tige a perdu sa vigueur élastique, les méchantes inspirations de Bianchini ne triomphaient que des cœurs où le sentiment de l’amour, sève de la vie, coulait avec parcimonie, et se trouvait étouffé à chaque effort par la violence des passions contraires. Un instinct de lâcheté l’empêchait de s’attaquer directement aux ames fortes et généreuses. Il ne connaissait donc que le mauvais côté de la vie, et cette triste science le rendait téméraire dans l’exercice de la duplicité.

S’il avait osé improviser un mensonge aussi grossier avec le Bozza, c’est qu’il prévoyait que celui-ci, étant d’une nature méfiante et concentrée, n’en chercherait jamais l’éclaircissement. Le Bozza, sans aimer précisément l’imposture, haïssait la franchise. Sa grande plaie était un amour-propre immense, éternellement froissé, éternellement souffrant. Bianchini savait aussi que tout l’effort de sa volonté consistait à cacher cette blessure, et que la crainte de la trahir par ses paroles le rendait taciturne, incapable de toute expansion, ennemi de toute explication qui l’eût forcé de mettre à nu le fond de son ame. Si quelquefois Bartolomeo s’expliquait à demi avec Francesco, c’est que, voyant la mélancolie de celui-ci, et le croyant atteint du même mal, il le craignait moins que les autres ; mais il se trompait : la maladie de Francesco, avec les mêmes symptômes, avait un tout autre caractère que la sienne. Quant à Valerio, le Bozza ne le comprenant nullement, prenait le parti de le nier. Il était persuadé que toute cette naïve insouciance était une affectation perpétuelle pour avoir des amis, des partisans, et faire son chemin par la faveur des grands ; c’est à cause de cette erreur que la ruse de Bianchini avait réussi.

Quand le Bozza se vit en présence de Valerio, quoiqu’il ne fût pas