et de la douleur le sentiment intellectuel qui devait caractériser des images religieuses. Les maudits ne semblaient tourmentés que par l’ardeur des flammes qui les dévoraient ; nul sentiment de honte ou de désespoir ne se peignait dans leurs traits contractés par la fureur. Les anges rebelles ne gardaient rien de leur céleste origine. Le regret de leur grandeur première était étouffé par une affreuse ironie, et en contemplant ces traits immondes, ces rires féroces, ces tortures qui rappelaient l’inquisition plus que le jugement de Dieu, on éprouvait moins d’émotion que d’étonnement, moins de terreur que de dégoût.
Malgré ces défauts appréciables seulement aux organisations élevées, le travail du Bozza avait des qualités éminentes, et les Zuccati avaient bien connu ses forces en le lui confiant. Mais lorsqu’il avait voulu s’essayer dans des sujets plus nobles, il avait complètement échoué. Ses mouvemens majestueux étaient raides, ses figures inspirées grimaçaient, ses anges agitaient en vain des ailes fortes et brillantes ; leurs pieds semblaient invinciblement liés dans le ciment, et leurs regards n’avaient d’autre éclat que celui de l’émail et du marbre.
Les peintres mécontens ne retrouvaient plus leur pensée dans l’exécution cependant fidèle de leurs dessins, et les Zuccati étaient forcés de retoucher péniblement tout ce qui constituait dans ces figures le sentiment et la représentation de la vie morale. Depuis que la scène de l’Apocalypse était achevée, le Bozza avait donc été employé au grand feston du cintre, et comme il trouvait indigne de lui de copier servilement des ornemens, il avait subi intérieurement toutes les tortures de l’orgueil humilié. C’était pourtant avec une douceur et une délicatesse extrême que les Zuccati lui avaient fait sentir la nécessité de laisser les sujets sacrés à des mains plus habiles, et de terminer les détails de la voûte en attendant que des sujets appropriés au genre de son talent fussent confiés à leur école. Bozza ne tenait pas compte des leçons particulières de dessin et de peinture que les Zuccati lui donnaient aux heures de leur loisir. Il ne concevait pas de plus grande affaire au monde que le soin de sa gloire future, et reprochait secrètement à Valerio d’avoir des goûts de plaisir qui l’empêchaient de lui consacrer tous ses momens de liberté ; à Francesco, de faire pour son propre compte des études sérieuses qui le forçaient quelquefois d’abréger sa leçon ou de la remettre au lendemain. Il se persuadait que ses maîtres craignaient d’être dépassés par lui et le privaient des moyens de s’instruire rapidement, afin d’exploiter plus long-temps son travail à leur profit, et il se livrait alors, dans le secret de son ame, à toutes les misères de la défiance et du ressentiment.